LES SOULIERS

Par HUGO BOURCIER

Je considère que la seule chose utile que mon père m’a apprise concerne l’importance, pour un homme, de faire bon usage d’une belle paire de souliers.

Je me souviens avec netteté de l’après-midi d’été où, à quelques heures de mon bal des finissants, j’ai vu sa voiture, carrosserie d’un gris terreux et vitres teintées, se garer juste devant la maison de banlieue que j’habitais seul avec ma mère. Il n’avait pas donné signe de vie depuis plusieurs mois et ma mère, pour me préserver des déceptions (c’était à une époque où, à peine sorti de l’enfance, j’avais encore la conviction que même les pires désastres ne sont pas nécessairement permanents), m’avait prévenu qu’il valait probablement mieux ne rien espérer de sa part. Contre toute attente, il était venu : debout sur la pelouse, inconfortable dans mon trois-pièces mal ajusté, je l’ai regardé passer la portière du côté conducteur, traverser le terrain, enjamber les plates-bandes, contourner ma mère qui était resté figée de surprise, son appareil photo encore braqué vers moi, jusqu’à poser sa main sur mon épaule. « C’est aujourd’hui le jour J ? »

Il a déposé à mes pieds la petite boite blanche qu’il avait sous le bras, est allé embrasser ma mère, lui a lancé quelques formalités auxquelles il ne s’attendait assurément pas à ce qu’elle donne suite. Il s’est planté devant moi, m’a fixé d’un regard qui devait se vouloir intense, puis il s’est agenouillé et a coupé d’un mouvement de son index le papier collant qui scellait la boite. Il y avait à l’intérieur une paire de souliers noirs dont le cuir, fraichement vernis, luisait sous le soleil de juin. Il m’a regardé retirer mes vieilles chaussures brunes, une paire qui avait appartenue à mon grand-père et que ma mère avait dénichée pour l’occasion au fond de son garde-robe, pour enfin chausser les neuves. Ma mère nous a pris en photo ­– un clic, pas de flash. Il a mis de nouveau sa main sur mon épaule. « Oublie jamais qu’on reconnaît la classe chez un homme par le soin qu’il met à choisir ses souliers. C’est vrai, c’est pas ce qui se remarque en premier. Mais c’est le détail qui change tout. » Il est remonté dans son VUS, a filé en trombe dans les rues du quartier – et je me souviens du soir même, alors que, dans le bois adjacent au terrain de camping où l’après-bal battait son plein, je vomissais par secousses brutales les six king cans de Black Label que j’avais descendues avec le zèle d’un néophyte. Je n’avais qu’une pensée en tête : pourvu que je ne salisse pas mes souliers neufs.

*

Je n’ai pas revu mon père depuis des années. Il m’a fait cadeau des souliers vernis et est disparu, comme à son habitude. Seulement cette fois, son absence s’était prolongée jusqu’à devenir définitive. Plus d’apparitions surprise, plus de chèques envoyés le jour de mon anniversaire dans des cartes Hallmark signées à la va-vite, plus d’appels inattendus sur le cellulaire de ma mère au jour de l’An. Je n’ai jamais su où il était parti et j’étais bien vite arrivé à m’en crisser. En vieillissant, j’essayais d’apprendre à reconnaitre les désastres pour ce qu’ils étaient. Ce n’était pas toujours facile, mais j’avais compris que c’était nécessaire à la stabilité.

J’avais pourtant gardé les souliers. Sans vraiment savoir pourquoi, j’avais trainé la petite boite blanche lors de chacun de mes nombreux déménagements. Et quand Maria m’a invité à passer le réveillon de Noël dans sa famille, c’est à cette petite boite que j’ai pensée.

C’était au début du mois de décembre que j’avais appris à la dérobée les infidélités de Maria. Le coup avait été difficile à encaisser. J’avais sincèrement voulu que ce soit la fin : je me disais que cette dernière trahison était le prétexte que j’attendais, qu’il était temps de mettre un terme à cette relation depuis longtemps toxique et désormais trop désarticulée pour être remise en état. Mais c’était sans compter la ténacité de Maria. Elle était revenue vers moi. Elle avait passé des jours à m’appeler, et, je l’imagine, découragée de n’entendre à chaque fois que le timbre de ma boite vocale, m’avait suivi jusqu’au travail, avait attendu la fin de mon shift toute seule dans la nuit froide, en fumant cigarette sur cigarette – j’avais vu les mégots qui gisaient entre ses bottes, dans la sloche brune du stationnement du centre-commercial. Elle avait pleuré, m’avait demandé pardon, supplié de lui donner une chance. Elle m’avait pris dans ses bras, et, par-dessus son épaule, j’avais regardé les devantures des magasins qui s’alignaient le long de la voie, chargées d’ampoules multicolores, de guirlandes et d’étoiles en plastique ; j’avais regardé les gens qui en sortaient par grappes, chargés de sacs et de paquets cadeaux. Je n’avais pas pu m’empêcher de lui dire oui.

Entre les baisers dont elle me couvrait de ses lèvres mouillées de larmes, elle s’était empressée de me mentionner son réveillon familial de la semaine suivante. Elle me disait qu’elle tenait plus que tout à ce que j’y sois. J’y avais vu un signe. Auparavant, elle n’avait jamais manifesté le moindre intérêt à me présenter sa famille – elle craignait, disait-elle, le caractère trop officiel de ce genre de visite. Si elle choisissait maintenant de mettre cette réticence de côté, c’était, je me disais, qu’il y avait en elle une réelle volonté de changer les choses entre nous. C’était qu’il restait de l’espoir.

L’après-midi du 24, j’étais nerveux. J’ai repassé mon unique chemise blanche, fais tourner à deux reprises mes pantalons noirs dans la sécheuse pour m’assurer d’y chasser tous les poils de chats. J’ai fouillé le placard de ma chambre jusqu’à trouver, sous une pile de vieux livres, la petite boite dans laquelle reposait le dernier cadeau de mon père. Le détail qui changerait tout. Je me suis regardé longuement dans le miroir. Le cuir noir des souliers miroitait toujours, même sous la lumière frêle de mon plafonnier. C’était parfait. Je les ai retirés, les ai mis dans un sac réutilisable.

Vers 18 heures, j’ai enfilé mes bottes, ai attrapé le sac et je suis parti rejoindre Maria à son appartement. Elle portait une robe rouge qui lui arrêtait juste au-dessus du genou et des bas-collants gris. Je lui ai dit qu’elle était belle. Nous avons pris un taxi. Sa mère habitait une banlieue avoisinante. Sur l’autoroute, nous zigzaguions entre des bouchons intermittents. « C’est toujours comme ça le 24 », a dit le chauffeur. « C’est un soir où tout le monde est en mouvement. » De lourds flocons chutaient contre le parebrise. Le taxi a enfin emprunté une sortie menant à un quartier de bungalows bas, aux toits triangulaires. Maria a pointé une maison devant laquelle on avait érigé un immense Père Noël gonflable qui, de ses pupilles noires et derrière de petites lunettes jaune moutarde, posait sur les voitures passantes un regard morne. Par une immense bay window, on distinguait un sapin couvert de décorations dorées, trônant au milieu d’un salon vide. « C’est là. »

Pendant que Maria faisait la bise à ses parents, j’ai retiré mes bottes, ai sorti mes souliers noirs et les ai lacés avec attention. Elle m’a présenté successivement à son père, sa mère (« Contente de te rencontrer enfin », m’a-t-elle dit avec un sourire qui m’apparaissait trop large pour son propre visage), ses deux sœurs plus jeunes qu’elle, son oncle et sa tante. Son cousin, un garçon d’environ notre âge, était un peu en retrait au fond du couloir, une bouteille de bière dans la main. Elle s’est jeté dans ses bras en poussant un ululement suraigu qui devait se vouloir une manifestation de joie brute. Son cousin l’a enlacé. Il avait au moins deux têtes de plus que moi et portait une barbe touffue dissimulant sa pomme d’Adam. J’ai remarqué, dans l’embrassade, sa main posée sur la taille de Maria, je l’ai vue glisser avec un peu trop d’insistance le long du tissu de sa robe – mais j’ai aussi constaté que, malgré sa chemise, sa cravate et ses pantalons propres bleu royal, il avait aux pieds des souliers de courses Nike aux motifs sports ridicules. J’ai ricané intérieurement en lui serrant la main.

Nous nous sommes assis à la table de la cuisine. Le père de Maria m’a offert une coupe de vin rouge espagnol pendant que sa mère m’interrogeait de long en large sur mon existence, avec une bonne humeur de circonstance. La table, nappée de vert, était encombrée de nourriture réconfortante. Une chaine stéréo susurrait dans le lointain du bungalow les notes glissantes d’un version jazz de « Jingle Bells »: Now the ground is white / Go it while you’re young / Take the girls tonight / And sing this sleighing song. C’était un réveillon tout ce qu’il y avait de plus conventionnel – ou plutôt, c’était ainsi que j’avais toujours imaginé un réveillon conventionnel. Ma situation familiale bancale n’avait jamais rendu possible un tel moment de normalité formelle pour moi. Mes souvenirs des 24 décembre se ressemblaient tous : ils mettaient en scène ma mère et moi s’échangeant deux ou trois cadeaux et mangeant du take-out (le plus souvent deux trios cuisse de chez Saint-Hubert) en regardant à la télévision un quelconque vieux film hollywoodien du temps des Fêtes (ma mère aimait particulièrement le Miracle sur la 34ème rue – la version de 1997, avec le milliardaire de Jurassic Parc dans le rôle du Père Noël). Quand on arrivait à traverser la soirée sans qu’elle n’échappe la moindre larme, on pouvait considérer la veillée comme étant réussie. Je me disais avec soulagement que ce 24-ci serait différent, sans drame ni malaise. Je mangeais avec appétit et ma nervosité s’estompait.

C’est à force de coupes de vin rouge que je me suis rendu compte qu’il y avait une proximité étrange entre Maria et son cousin : pendant que, en invité discipliné, je m’efforçais de discuter de choses et d’autres avec le reste de l’assemblée, je pouvais les voir du coin de l’œil, assis l’un à côté de l’autre, isolés – je voyais les sourires qu’ils se lançaient, leurs regards instants, leurs mains se frôlant au-dessus de la nappe lorsqu’ils agrippaient leurs coupes ou leurs ustensiles. De retour d’un passage aux toilettes, j’ai surpris, dans un angle qui m’avait été jusqu’alors inaccessible, la main du cousin se poser contre le bas-collant gris qui couvrait la cuisse de Maria.

Le dessert a été servi – une bûche de Noël à la crème glacée. Ma coupe de vin était toujours pleine, même si je la vidais avec une avidité croissante. Une fois les assiettes de tous vidées, Maria s’est levée et m’a pris la main. « Viens, je vais te montrer mon ancienne chambre ! » Nous sommes montés à l’étage, avons traversé un corridor sombre jusqu’à la pièce du fond. Elle a appuyé sur l’interrupteur : la lumière jaune d’une lampe torchère a révélé quatre murs peints en rose, un plancher flottant impeccable et, surtout, des commodes, des tables de chevets et un bureau sur lesquels se déployait une quantité phénoménale de jouets, alignés avec la prestance d’œuvres d’art – des chevaux de plastiques, des figurines à l’effigie de personnages de dessins animées, des poupées aux vêtements fripés.

Maria s’est approchée d’une commode et s’est mise à manipuler les jouets, d’abord distraitement puis avec attention, me racontant des anecdotes sur tel dinosaures en peluche, sur tel autre Jeep miniature à la carrosserie mauve. Je crois qu’elle a senti que son monologue ne m’intéressait pas, puisqu’elle s’est retournée vers moi. « Qu’est-ce que t’as ?  – À quoi tu joues, avec ton cousin ? » Elle a commencé par rire – s’est défendue (« C’est un jeu entre nous, on se taquine comme ça depuis l’enfance »), puis s’est mise en colère. Devant mon silence, elle a poussé un soupir théâtral et a reporté son attention vers ses trésors. « Tu sais c’est quoi le problème avec toi ? T’exiges la perfection chez les autres, mais toi, t’offres rien en retour. Rien. »

J’aime croire que je suis quelqu’un de fondamentalement pragmatique. Que je n’ai pas en moi la moindre trace de violence. Mais la remarque de Maria a déréglé quelque chose. Je me suis approché de la commode devant laquelle elle se tenait. D’un seul geste brusque de mon bras gauche, j’ai fait tomber les jouets qui s’y trouvaient. Ils se sont écrasés au sol avec des tocs successifs, formant un monticule que j’ai enjambé pour passer à la seconde commode, puis aux tables de chevet, puis au bureau. Quand j’ai eu ruiné l’entière installation, j’ai ouvert chacun des tiroirs sur lequel je mettais la main, ai fait voler dans les pièces les vêtements pour enfants qui s’y trouvaient dans un nuage de couleurs pastels. Maria avait une main sur sa bouche. Les larmes coulaient de ses yeux, mais elle ne disait rien, se contentait de me fixer avec effarement, les pommettes barbouillées de mascara noir. Je l’ai trouvée soudain ridicule dans sa robe rouge, comme je me suis senti ridicule dans mon complet – tous deux dans nos habits du dimanche, se toisant, le cœur battant. J’ai compris que j’avais fait une erreur. Dans le silence transitoire, j’ai entendu au rez-de-chaussée le couinement de chaises qu’on tirait, le cliquetis des assiettes qu’on empilait. Je suis sorti de la chambre.

En descendant l’escalier, j’ai croisé son cousin qui faisait le chemin inverse. J’ai compris que mon temps était compté. J’ai retrouvé mon manteau, l’ai enfilé sans prendre la peine de le refermer, ai trouvé mes bottes au pas de la porte parmi celles des autres invités, au milieu d’une flaque de neige fondue. La mère de Maria est passée par le vestibule. « Tu pars déjà ? Reste un peu encore ! » La fin de sa phrase a été enterrée par un cri exagérément rauque provenant de l’étage. « Mon tabarnak ! » J’ai attrapé mes deux bottes d’une seule main et j’ai passé la porte de la maison sans la refermer.

J’ai couru sans regarder où j’allais. Je sentais à peine la neige qui pénétrait mes souliers noirs, mes chaussettes qui se gorgeaient d’humidité alors que je traversais le terrain à grandes enjambées, évitais le Père Noël gonflable et prenais la rue. Les semelles, qui ne m’avaient jamais parues aussi lourdes, résonnaient contre l’asphalte. J’ai revu en pensée les souliers Nike du cousin de Maria – des souliers de course.

Comme de fait, j’ai été projeté sur le côté et ai atterri sur le dos et les bras en croix dans la neige fraîche, comme un écolier se préparant à faire un ange. Le cousin a surgi au-dessus de moi. Son poids contre mon abdomen me coupait le souffle, que je peinais déjà à retrouver après ma fuite. Son mouvement a été bref, précis ; la douleur s’est répandue, comme une centaine d’aiguilles prenant d’assaut mes parois nasales. « À c’t’heure, décâlisse. »

Je suis resté couché un moment, hoquetant, crachotant. Les flocons, qui tombaient maintenant avec force, me mouillaient les yeux. Quand la sensation brûlante s’est un peu calmée, je me suis redressé. Je n’avais pas fait beaucoup de distance : je reconnaissais à quelques maisons le Père Noël géant, même si d’ici il me faisait dos. D’une main glacée, j’ai pris une poignée de neige et je m’en suis couvert le nez dans une vaine tentative d’engourdir la peau à vif. Sur ma langue, le goût métallique du sang se mêlait à celui, encore prenant, du vin rouge espagnol.

 

*

 

Les souliers noirs sont restés jusqu’en janvier sur le pas de ma porte. Je ne savais pas quoi en faire. J’ai pensé les jeter, simplement – puis, j’ai eu une meilleure idée.

J’ai appelé un taxi. Nous avons tourné en rond quelques temps dans le quartier, mais j’ai réussi à retrouver la maison à la bay window – il n’y avait plus de sapin dans le salon, mais le Père Noël, à l’extérieur, était toujours là, un peu dégonflé, il me semblait, et pathétique dans la lumière grise de l’hiver post-festivités. J’ai dit au chauffeur de m’attendre. J’ai empoigné la paire de souliers sur le siège – j’avais préalablement noué ensemble les lacets et je les avais remplis de larges vis, pour ajouter du poids. Depuis la rue, j’ai couru jusqu’à rejoindre la maison. J’ai fait brièvement tournoyer la paire au-dessus de ma tête et, de toutes mes forces, je l’ai jetée contre la bay window. J’ai entendu la vitre craquer. Sans me retourner vers mon méfait, je suis rentré dans le taxi et le chauffeur a démarré.

Sur le chemin du retour, je me sentais déjà mieux. Bien sûr, le geste pouvait sembler puéril et assurément vain. Mais, pour moi, il constituait le détail qui changeait tout.

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LA POÉSIE POUR NOËL : LIRE OU RELIRE VÉRONIQUE CÔTÉ

Par ÉMILIE PINARD-FONTAINE

Noël arrive à grands pas et le stress qui vient avec ne cesse de se décupler jusqu’au jour fatidique. Fin de session, dossiers à terminer au boulot, cadeaux à acheter, rencontres de famille à organiser… Dès que le mois de décembre sonne à nos portes, le temps accélère et nous entraine bien souvent dans une spirale infernale.

C’est pourquoi je vous invite à prendre un moment pour vous. Asseyez-vous confortablement enroulés dans une couverture avec un chat et une tasse de thé ou de chocolat chaud et lisez ou relisez La vie habitable de Véronique Côté. C’est une toute petite plaquette, ne vous inquiétez pas, ça ne prendra pas trop de votre temps.

La vie habitable est un tout petit essai, mais qui nous fait un grand bien individuellement et collectivement. Véronique Côté, femme de théâtre, nous invite à prendre le temps. Prendre le temps de vivre, de profiter de chaque moment, de voir la poésie qui nous entoure.

Que veut dire l’auteure lorsqu’elle évoque la poésie ? Le sous-titre de l’ouvrage nous en révèle déjà un peu : Poésie en tant que combustible et désobéissances nécessaires.  Côté parle de la poésie comme un « surgissement irrépressible de la beauté », comme une « réponse sauvage à des questions qui ne se posent pas. Comment faire pour vivre ? Comment faire pour vivre ensemble ? », ainsi qu’une « construction de l’imagination parlant à l’imagination d’autrui » [1]. Ce texte nous propose l’idée que la poésie n’est pas un luxe, mais une nécessité au bonheur et à la vie en société. Elle est un carburant pour nous faire avancer et nous faire réaliser de grandes choses. Elle nous permet de lutter contre la dépression et l’impression de vanité que laissent nos existences.

La vie habitable est un essai d’espoir. C’est un de ces livres qui incitent à la création, à la libération de l’imaginaire, un livre qui nous incite à innover et que, pour cela, il faut faire de l’espace dans nos vies trop remplies. Avez-vous déjà remarqué que l’inspiration surgit, la plupart du temps, lorsqu’on ne pense à rien ? Lors d’un réveil plus tôt qu’à l’habitude, dans la douche ou encore en randonnée en forêt. L’inspiration a besoin de temps et de beauté. Beauté, mot galvaudé avec le temps, mais ici on parle de beauté « sauvage et offerte, inutile et gratuite : incontrôlable. [2] » De beauté naturelle, tout simplement.

Côté a ainsi porté à l’écriture un livre qui se lit d’une traite, qui coule comme un fleuve parfois lent et tranquille, ponctué d’entretiens avec des hommes et des femmes (psychologues, anthropologues, philosophes, cinéastes et militants) qui nous livrent leur vision de la poésie. Ces moments nous donnent le temps de réfléchir, de nous imprégner du texte et de ce qu’il nous révèle. À d’autres moments, le fleuve est fort, déterminé et passionné, surtout lorsque l’auteure aborde la laideur par l’exemple de nos paysages massacrés, par la dénaturation de la langue, montrant alors la poésie comme un rempart face à cette barbarie.

La vie habitable est une ode. Une ode à la poésie, à la beauté, à l’écoute, à la compréhension, à l’entraide et à la participation citoyenne. Une ode à la communauté afin de résister à l’individualisme, à l’utilitarisme et à la surconsommation. Une ode à notre humanité. Une ode qui nous rappelle de vraies valeurs : celles à l’origine même de Noël et de la période des fêtes.

Joyeux Noël à tous ! Profitez de la poésie, des gros flocons de neige qui tombent sur la ville, du sourire candide d’un enfant à la parade de Noël, ou encore du sapin qu’on illumine pour la première fois. Noël est empli de poésie et de magie ; ne l’oubliez surtout pas !

[1] Véronique Côté, La vie habitable, Atelier 10, 2014.

[2] Ibid.

UNE INITIATION AUX ORIGINES PAR WILLIAM S. MESSIER

Par SIMON HARVEY

La surconscience linguistique au Québec est toujours présente dans les textes littéraires de la génération surnommée les trentenaires. La manifestation de cette caractéristique historique de la littérature québécoise se constate par l’utilisation d’expressions dites québécoises et de régionalismes, dans la manipulation de la syntaxe, par la suppression de la ponctuation, par la suppression du « ne » dans la négation, par l’élision des voyelles et par bien d’autres opérations rappelant cette unicité du parler québécois[1]. Nous sommes ici en présence d’une rupture avec les bons standards de la langue française. D’autres marques de cette « oralité » lient ces textes au « néo-terroir », voir au « post-terroir », mais nous nous éloignons pas mal de notre sujet principal : William S. Messier.

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Les trois titres sont publiés aux Éditions du Marchand de feuilles.

Le coach de vie littéraire plante le décor de Townships (2009), Épique (2010) et Dixie (2013) dans le grand Brome-Missisquoi. Peu importe l’espace dans lequel les récits se développent, la fraicheur de ces trois titres reposent sur une série de caractéristiques. Pour des raisons de temps, – quoique je pourrais facilement dégager mes idées sur plus de trois milles mots – je me permettrai d’en développer seulement trois.

La forme. Rapidité de l’action et succession de nouvelles sont ici la manifestation d’une métamorphose du genre romanesque. On retrouve dans l’écriture de Messier les formes de la série. Township se lit autant en format épisodique qu’en un roman entier. Roman par nouvelles serait peut-être un terme plus juste pour décrire la forme. Peu importe ce débat sémantique, il reste que la forme du texte plait au lecteur. Le genre romanesque est ici retravaillé par l’auteur et c’est ce que j’aime. Township est nommé « récits d’origine », Épique et Dixie sont classés en tant que roman, mais l’organisation textuelle se maintient dans ce qu’on peut nommer le roman par nouvelles.

La voix. Messier en a fait justement le sujet de ses études doctorales. Dans ces trois romans, l’oralité est plus qu’un simple effet de style. Ce rapport à l’oral est intimement lié – et c’est mon hypothèse – à la relation que nous entretenons avec nos bonnes vieilles histoires, nos contes et nos légendes. Les récits prennent une véracité grâce à cette retranscription de la langue du quotidien, comme ces histoires racontés par nos parents. La langue de Messier est porteuse d’une véracité, d’un profond encrage dans le réel québécois. Lire Dixie, c’est retrouver le confort et l’authenticité de vos souvenirs de famille.

Le récit. Épique est le titre parfait pour le deuxième roman de Messier. Il s’agit ici d’une simple action qui fait boule de neige. Quittez votre emploi, gardez avec vous un lecteur optique et vous tomberez sur les légendes du coin pour finalement sauver le monde… C’est cette promesse d’un quotidien fantastique que Messier vous fait lorsque vous ouvrez l’un de ses romans. L’authenticité du récit vous donnera envie de plonger dans cet univers à travers les trois romans.

Vous pouvez vous procurer les romans de William S. Messier en cliquant ici.

[1] L’auteur du texte sait qu’il devrait classer ses altérations comme des métaplasmes. Il vous invite d’ailleurs à en lire plus à ce sujet.

VAINCRE LA NUIT

PAR HÉLÈNE BUGHIN

Cacophonie de salutations, festival de mains serrées et têtes hochées, discussions animées : ce soir, au Quai des Brumes, c’est Vaincre la nuit, micro-ouvert littéraire à contribution volontaire qui, peu à peu, commence à prendre ses assises dans le paysage montréalais.

Il est huit heure et demie. À l’arrivée, on constate que les places assises sont déjà comblées. Les curieux se massent au bar tandis que les musiciens, en l’occurrence le duo Confiture, accordent leurs instruments. Ce soir, 24 octobre, se déroulera la version 2.2 de l’événement sorti tout droit de la tête de Melyssa Elmer et du doorman, Christopher.

Habitués de l’endroit, c’est rempli d’ambition qu’ils se sont lancés dans l’organisation de cette soirée de poésie. Outrepassant leur appréhension d’un public déjà accoutumé à une ambiance festive et bruyante, ils ont choisi une date, puis un logo réalisé par Odrée Laperrière, illustratrice. Et les passionnés ont répondu à l’appel. « Le mois suivant, il y avait une file à l’extérieur et nous avons dû refuser plusieurs dizaines de personnes », souligne Melyssa.

Qui a dit que la poésie se devait d’être limitée au lyrisme et aux livres ? Certainement pas la multitude d’orateurs que la scène a vu défiler, ayant comme seule contrainte le temps. Le texte présenté doit durer moins de cinq minutes, qu’il soit inédit ou d’un auteur connu, en français comme en anglais. Mais, justement, qui sont ces orateurs ? Les organisateurs soulignent que « certains lecteurs sont plus habitués, même professionnels alors que d’autres lisent en public pour la première fois ».

Dans la salle, certains visages semblent effectivement familiers – des personnalités qu’on reconnaît, des habitués des micro-libres. Il y a aussi des gens penchés sur leurs cahiers, ou éclairés par leur cellulaire, récitant du bout des lèvres un texte en ligne. Au plafond, la boule disco fait pleuvoir sur la foule plongée dans la pénombre des éclats lumineux. Aucun doute, l’ambiance est bel et bien festive, et pour les bonnes raisons.

« L’expérience d’un micro-libre est aléatoire, incohérente et spectaculaire. Personne dans la salle ne sait à quoi s’attendre, mais tous ont un intérêt pour la poésie. En quelque sorte, tout le monde est là parce qu’ils vont lire quelque chose, ou qu’ils aimeraient beaucoup mais n’ont pas le courage, et récompensent ceux qui le font par un respect et une écoute unique. De plus, nous sommes constamment étonnés par la qualité des textes et de la liberté que s’accordent les lecteurs pour s’exprimer ».

Entre à la queue-leu-leu un public disparate, où se confondent jeunes et moins jeunes. Un intérêt commun les réunit : la poésie. « Il est encore difficile d’identifier clairement le public qui assiste et participe à la soirée et, en quelque chose, nous croyons que c’est une de ses forces. Il n’y a pas d’appartenance quelconque à une clique, ou de compétition, ni de jugement. Dès le départ, nous avons été agréablement surpris par le nombre d’étudiants qui ont découvert le Quai des brumes grâce à la soirée, lieu mythique et si important pour la scène artistique montréalaise, et nous espérons que ça se poursuivra ainsi, qu’on reste accessible et ouvert à tous », remarquent les fondateurs.

Une chose est sûre : la poésie pogne. Face à une faune curieuse et motivée, Melyssa ouvre la soirée à l’heure juste, annonçant que les trois quarts de la salle (débordante) s’est déjà inscrite. Usant d’un ton familier et décomplexé, sans chichi, elle présente celui qui brisera la glace. Dès cette première prise de parole, on sent déjà l’atmosphère de curiosité, le bouillonnement créatif. L’écoute est impeccable, du silence comme on n’en a jamais entendu dans un bar plein à craquer.

Ce qui plaît surtout, à la soirée Vaincre la nuit, c’est le côté musical de la parole. Appuyé par des musiciens alertes et inventifs, le texte prend un rythme autant improvisé que charmant. Véritable laboratoire, les lecteurs, expérimentés ou non, nous livrent des textes ancrés dans le réel, soucieux d’expérimenter le style et de sortir des carcans de l’institution. Avec des thèmes comme l’autodérision, l’oralité, l’amour et les relations, le vide et l’immense, le quotidien, l’incohérence, mais aussi le travail, l’argent, l’intimité, les textes partagés résonnent en nous, que nous nous positionnons en face ou en continu avec la problématique présentée. On y sent la frustration, mais aussi le désir de résolution d’une génération hétéroclite à la marginalité assumée. Et au centre de tout : l’écriture. La mise en scène de l’écriture, du moins. Car le micro-ouvert, c’est aussi une plateforme pour faire susciter des émotions en direct, c’est dévoiler une écriture en dialogue avec la réalité, face à un public palpable. Sortir son cahier de poche, sans filtre autre que sa propre voix. L’idée de performance est muette, sous-jacente, certes, mais définitivement en action. Peut-être symptomatique de notre époque des « réseaux sociaux », mais une performance tout de même, physique, déchirante, intime et publique à la fois. Vaincre la nuit, c’est la poésie en action, une bière à la main.

Pourtant, les soirées de poésie, ça fait longtemps que ça marche, me fait remarquer un ami. Il existe déjà des rendez-vous mensuels où se réunissent des poètes émergents, des événements reliés à la discipline, des spectacles portant des noms connus. Quel est cet élément qui fait de Vaincre la nuit quelque chose d’aussi singulier ? Il y aurait d’abord la mise en scène de l’intimité, la pure, celle extraite des mots écrits croches sur le bord d’une table ; les barrières brisées, le pouls tâté chez nos confrères confrontés à la même fébrilité. Puis ce texte lancé dans la foule immédiate et essentielle. Ce micro ouvert à tous, pour tous, ce public confondu, cette performance à tâtons et la bouffée d’endorphines qui vient avec. Ou cette musique, qui rend l’expérience du lecteur et du public tout simplement amusante et unique. Moi, je dis que c’est pour tout ça. Pour la rencontre, la p’tite bière, le carnaval de rires. Ce silence dans la foule dès qu’un se racle la gorge, nerveux. L’intimité performée sans concession et l’accompagnement musical, toujours à point.

Ça tombe bien, la prochaine soirée se déroule ce lundi 28 novembre. Une rumeur court qu’il y aura du vin chaud. On se voit là-bas ?

Cliquez ici pour voir les détails de la prochaine soirée.

SOUS-SOL D’ÉGLISE ET DIY

PAR HÉLÈNE BUGHIN

La mi-novembre aura beau nous envoyer ses vents au visage, nous arrivons à la station Laurier l’impatience dans les talons. Cette fin de semaine du 11 au 13 novembre, c’est Expozine, un événement annuel regroupant nombre d’artisans, d’éditeurs indépendants, de graphistes (et plus encore) au style vivant, créatif et souvent handmade. Véritable porte d’entrée au milieu alternatif, l’événement permet de rencontrer des créateurs d’ici et d’ailleurs au Canada, en français ou en anglais.

Dès que l’on descend l’escalier de l’Église Saint-Denis apparaît une faune aussi casual qu’éclectique. Les tables y sont diversifiées, proposant tantôt des zines, pamphlets et autres productions littéraires éclatées, tantôt des macarons féministes et engagés – sans oublier les nombreuses productions visuelles, sérigraphies et prints. Une cohabitation explosive suscitant sans mal la curiosité de tout visiteur.

Règne une esthétique de sous-sol d’église, celle des marchés aux puces, des ventes de garage et autre foire d’artisans, mais c’était plutôt recueils sur la masturbation féminine, collages hallucinants et patchs de chats que l’on observait aux kiosques décorés. Une avalanche créative nous attendait entre deux manteaux, derrière la foulée de visiteurs discutant avec les artistes. Il aurait fallu une journée entière pour en admirer l’entièreté.

Devant ce bouillonnement de couleurs et d’expressions, voici ce qui a retenu notre attention !

GUÉDAILLES, Collectif 

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Zine féministe des Panthères rouges tournant autour de la sexualité et de la masturbation, c’est son design épuré, sa couleur mat, son titre, ainsi que l’esthétique des textes qui a le plus frappé en parcourant les allées. Ancré dans l’ère numérique, le contenu fait écho à l’époque dans laquelle il est produit ; l’esthétique suit la marche, et le résultat, en plus d’être pertinent, suscite une excellente réaction. On approuve !

PICTURES OF PEOPLE, Ivan Klipstein 

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Quelque chose de distinct dans les dessins que propose Klipstein. Un réalisme proche de la caricature sans y tomber ; une douceur, une réalité dans le trait. L’artiste y peint un quotidien déconstruit entre les villes et les personnes rencontrées. Une simplicité dans la représentation qui amène une toute nouvelle dimension aux personnages, les centrant au milieu de leur personnalité. On adore !

À SENS UNIQUE PT.1., À TON INSU PT.1., GEE ZEE,
Christina Catastrophe 

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Grande fan de l’authenticité, je trépignais devant ces zines que l’auteur qualifie « d’auto-biographique », devant ce mélange entre photos et textes en prose. Le travail derrière le dévoilement de l’intimité fascine, l’esthétique plaît, la mise en scène du soi est, ici, une performance sincère et honnête. On souligne !

CARNETS DE MONTRÉAL, Catherine Pont-Humbert 

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Depuis un moment, je voulais mettre la main sur un des livres de cette maison d’édition (enfin!). Alors que le territoire et sa représentation sont source d’inspiration pour les récents récits, « Carnets de Montréal » nous offre une guirlande de points de vue sur les quartiers de la ville. On salue le projet !

NOYADE, Aura Fallu

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La couverture m’a tout de suite accrochée et dès les premières pages tournées, c’était l’enivrement. Une poésie coup de poing, grinçante, se débattant à chaque vers. Un excellent recueil de l’Oie de cravan. Fraîchement sorti de l’imprimeur, et déjà dans nos cœurs. On recommande !

DUST TO OAXACAJustin Apperley 

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Festival de couleurs vives et pastels, du bleu marin au rose lilas, des collages décolorés, des coupures et des montages ; 20,500 KM en moto de l’Alaska jusqu’en Californie, racontés ainsi. Les scènes dépeintes ou reconstruites bouleversent l’imaginaire et nous amènent ailleurs, des paysages féeriques à l’imagination débordante de l’artiste. On est in love.

ODE AUX DOUBLES MENTONS, Collectif Correct 

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Tel un rêve devenu réalité sous forme de zine, « Ode aux doubles mentons » est un grand sourire enveloppé dans du papier blanc, un investissement dans l’agréable surprise, une publication ludique dont on avait terriblement besoin, simple et brochée. Un excellent morceau pour découvrir le Collectif Correct. On applaudit !

CŒUR DE BÊTE HÔPITAL, Christine Germain

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Confession : débordante est mon admiration pour les éditions Rodrigol depuis ma lecture de Lulu Machine par Sébastien Blais. Il s’en fallut de peu pour que je parte avec le présentoir au grand complet. Lorsqu’on m’a exposé le noyau de l’histoire derrière Coeur de bête hôpital, j’étais conquise. Une poésie franche et déroutante, des thématiques vivantes. On admire !

BALLZ MONTRÉAL, Collectif

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Défoulement : c’est la caractéristique première qui me vient en tête lorsque je feuillette Ballz Montréal. Un zine comme échappatoire, comme exorcisation des ressentiments par rapport à l’année 2016, à la politique, aux échanges sociaux et à l’art. Des textes et photo-montages dont on avait bien besoin. Cerise sur le gâteau !

COCO : UN ROMAN MAGNIFIQUEMENT TROUBLANT

PAR GABRIELLE IZAGUIRRÉ-FALARDEAU

Je connais peu Antoine Charbonneau-Demers. Nous nous sommes vaguement côtoyés il y a quelques années alors que nous suivions des cours de théâtre. J’ai eu la chance de le voir à l’œuvre sur scène à quelques reprises. Il m’avait toujours paru excessivement sympathique et talentueux, mais notre relation étant ce qu’elle était, c’est-à-dire relativement inexistante, je n’avais jamais eu l’occasion de valider cette hypothèse avec certitude.

C’est pourtant sans surprise que j’ai appris qu’il avait écrit un roman et, en plus de ce dernier fait qui peut, en soi, être considéré comme un exploit, qu’il en avait été récompensé du prix Robert-Cliche. Intriguée, je me suis empressée de confirmer ma participation au lancement à Rouyn-Noranda, le 1er octobre.

Ce soir-là, le Gisement, chaleureux bistro-chocolaterie de la rue Principale, était bondé de professeurs de littérature du Cégep, de vieilles connaissances de l’auteur et de curieux, comme moi. Nous avons fait la file pour récupérer notre copie de ce petit livre à la tranche bleue, espérant une dédicace avec impatience. Lorsque mon tour est arrivé, Antoine, fidèle à lui-même, m’a saluée comme une bonne amie, me questionnant sur ma vie et sur mes projets.

À peine quelques instants après avoir signé la première page de mon exemplaire, il s’est mis debout sur une chaise haute du bar et a accueilli nos applaudissements avec humilité. Il a pris le temps de remercier les cinquante professeurs présents et a déploré le fait qu’on tendait, de nos jours, à faire croire aux jeunes que ce genre de carrière, en théâtre ou en littérature, ne valait pas grand-chose. C’était à la fois beau et vrai. Prétextant une certaine gêne encore présente par rapport à son texte, il a choisi de faire lire un extrait par un employé de la place. Ce dernier a déclamé un des « entre-chapitres » intitulé « Le monologue de Juliette » avec conviction. Il s’agit d’un passage fort du livre durant lequel un des personnages exprime sa colère et son exaspération de façon plutôt crue.

J’ai commencé ma lecture le soir-même. Coco raconte l’histoire (et là ce n’est pas moi qui le dit, c’est la quatrième de couverture) d’un garçon de 12 ans qui est repéré par Marie-Thérèse Lambert, « une actrice tordue et malheureuse qui décide de le prendre sous son aile. Des années durant, elle lui apprendra à se délecter de son propre malheur et, surtout, à susciter la pitié des autres – comme le faisait son alter ego, l’infâme Kamelia Kaze, du temps où elle se suicidait sur les scènes de New York. »

J’ai lu ce roman en très peu de temps. Il faut dire que c’est un livre assez court, mais qu’il est développé de façon fluide et efficace. Antoine Charbonneau-Demers a un style unique. Il alterne sans difficulté le discours littéraire aux dialogues crus, dialogues dont je ne suis habituellement pas une amatrice, mais qui, ici, se sont révélés pertinents. Le livre est construit selon un enchaînement de chapitres et d’entre-chapitres, où l’on nous montre les points de vue des autres personnages et les divagations de Coco par rapport à Kamelia Kaze, l’alter ego de sa professeure qui le fascine et le hante. La relation que le protagoniste développe avec Marie-Thérèse Lambert se compose autant d’amour que de haine et le roman joue beaucoup sur ces contrastes, ainsi que sur la psychologie complexe des personnages. Coco semble être dans une quête constante d’identité et de sensations. Il cherche l’amour et l’admiration de Marie-Thérèse tout en la haïssant du plus profond de lui-même. Ça peut paraître dur à suivre, ça l’est d’ailleurs parfois, mais on s’y fait.

Bref, Coco est une lecture qui vaut le détour et j’ose espérer que même si Antoine gradue cette année du Conservatoire d’Arts dramatiques, il saura nous offrir d’autres bons moments de lecture.

Coco est disponible en cliquant sur ce lien chez VLB éditeur. 

RENCONTRE AVEC DAVID GOUDREAULT : DÉCLOISONNER LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE

PAR ÉMILIE PINARD-FONTAINE

À la veille de la sortie de son nouveau recueil de poésie Testament de naissance aux Écrits des Forges, je monte la côte King enthousiaste, malgré la pluie, à l’idée de rejoindre David Goudreault à la bibliothèque Éva-Senécal. Il y donne une conférence ayant pour thème : l’écriture; guide de survie. Une heure de motivation et de conseils pour les auteurs et autres passionnés d’écriture présents dans la salle.

Entrevue avec un David généreux, survolté et un peu enrhumé. Il me parle du lancement de Testament de naissance. S’ensuit une avalanche d’informations sur ses multiples projets avant même que je ne puisse poser une seule question.

Il se fera un plaisir d’être invité d’honneur au Salon du livre de Montréal qui se tiendra ce mois-ci. Conférences de presse et poignées de main en perspective. Il est aussi finaliste au Prix Excellence du Conseil de la Culture de l’Estrie, organisme sans but lucratif voué au développement culturel de la région. Le lauréat sera dévoilé le lundi 14 novembre au bar le Boquébière, situé au centre-ville de Sherbrooke, dans le cadre de l’Apéro culturel de l’Estrie. En attendant, il est toujours possible d’aller voter pour son candidat favori sur le site web du Conseil de la Culture.

Nouvellement chroniqueur au réseau Capital Média dont fait partie La Tribune, il nous offre chaque semaine une chronique à la fois personnelle et originale, en plus des éditos-slam livrés à la barre d’Ici Estrie, depuis près d’an, qui abordent les sujets chauds de l’actualité avec une touche humoristique.

Mais qu’adviendra-t-il de son p’tit criss? Personnage à trouble de personnalité à la fois menteur, homophobe, raciste et attachant, protagoniste de sa trilogie de roman tragi-comique. Pour ceux qui l’attendent avec impatience, la parution d’Abattre la bête, troisième et dernier tome, a été annoncée pour le 12 avril 2017.

J’ai parfois l’impression que tu es partout, David, tellement tu multiplies les projets. Grand sourire, éclat de lumière dans l’œil. Sa réponse est toute simple : « Au final, je ne fais qu’une chose, j’écris. » Et c’est ce qu’il a toujours voulu faire.

Qu’est-ce qui te pousse à essayer tous les genres, à écrire poésie, roman et chroniques tous en même temps? Il m’explique que pour lui, la diversification est importante. Tous les genres sont des vases communicants et s’alimentent mutuellement autant chez les auteurs que chez les lecteurs.

Sa poésie est plutôt personnelle, introspective. Il la laisse macérer selon ses propres termes. Après S’édenter la chienne, son dernier recueil en date, composé de poésie du quotidien sur fond de relation homme-femme, son recueil à paraître, lui, est directement inspiré de sa fille née en 2014.

Ses romans sont quant à eux plus fictifs, près d’une réalité qui n’est pas la sienne. Il a dû faire de la recherche pour son dernier roman, La bête et sa cage, notamment en rencontrant des agents carcéraux et des prisonniers, en plus d’aller chercher des anecdotes dans son passé de travailleur social. Il s’étend sur le sujet et relate des récits tragi-comiques qui se déroulent juste sous notre nez à la prison Talbot de Sherbrooke. Conteur dans l’âme, il me fait sourire malgré la tristesse de ce qu’il raconte.

As-tu l’impression de t’adresser, avec chacun de tes projets, à des lectorats très différents? Après un bref instant d’hésitation, sa réponse est ambivalente. C’est toutefois le sourire aux lèvres qu’il m’explique que les romans s’adressent à un plus large public, mais qu’il est heureux d’inciter le lecteur à aller vers la poésie par la suite, et ainsi créer une rencontre entre les différents lectorats, un point commun où se rejoindre et partager.

Selon toi, est-ce que cela t’aide d’être sur tous les fronts à la fois? Cela t’amène une plus grande visibilité, une plus grande popularité, est-ce que tu souhaitais? Encore une fois, réponse ambiguë. Il est fier de la grande visibilité que lui ont apporté ses romans : cela lui a permis d’amener le lectorat à diversifier ses plaisirs littéraires, ce qui est très important pour lui.

Cependant, ce n’est pas apprécié par l’ensemble de la sphère littéraire. Dans le milieu de la poésie contemporaine, le slam en tant que performance près de l’oralité n’est pas toujours bien accueilli. Mais il a une tête de cochon et il fait ce qui lui plait. C’est qu’il a un fond rebelle, ce David. Il n’écoute pas non plus lorsqu’on lui dit de se concentrer sur un seul genre, ou d’espacer ses publications. Il souhaite aider à décloisonner la littérature québécoise.

Assis côte à côte, on se regarde. Je crois que tout a été dit, du moins le plus important. On se high five, se souhaitant une bonne soirée. Et moi je vous invite à voler un peu de temps à votre horaire et à vous plonger (ou replonger) dans l’univers songé et humoristique de David Goudreault. Commencez donc par aller au prochain lancement afin de vous procurez votre exemplaire dédicacé de Testament de naissance.

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Lancements de Testament de naissance :

  • 10 novembre : 5 à 7 à la librairie L’histoire sans fin, Trois-Rivières ;
  • 12 novembre : 19 h au Salon Le Buvard, Gould ;
  • 13 novembre : 10 h à la Maison des Auteurs, Sherbrooke.

Testament de naissance est disponible en cliquant sur ce lien aux Écrits des Forges.

LA CACHETTE D’UNE DÉESSE

PAR SIMON HARVEY

Il y a de ces livres qui nous bouleversent sans savoir pourquoi. À sa lecture et à sa relecture, vous n’êtes pas en mesure de circonscrire l’élément qui vient vous chercher. Page après page, un message semble s’y cacher. Vous relisez aléatoirement des passages en espérant le trouver. Vous prêtez ce livre à vos amis dans l’espoir que ceux-ci puissent saisir l’objet de ce qui est devenu pour vous une quête. C’est ce sentiment que j’ai ressenti dès les premières pages de La déesse des mouches à feu. La voix de Catherine, cette héroïne adolescente qui grandit à Chicoutimi, a ébranlé je ne sais quoi en moi.

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On pourrait croire que cette histoire toute simple d’une adolescente en pleine découverte de la vie – s’affrontant à un monde rude, faisant face au divorce de ses parents, réalisant les différences sociales – n’est qu’un autre récit de l’aliénation d’une jeune dans son environnement, mais non. Il y a bien plus.

Trop de chroniqueurs ont décrit ce roman comme une version québécoise de Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… J’ai lu à l’adolescence le récit de Christiane Felscherinow, mais il n’a pas su débloquer le même sentiment que celui de Catherine.

Christiane et La déesse partagent des thématiques. L’écrivaine Geneviève Pettersen l’affirme dans La Presse lors de la sortie du roman en mars 2014 : «Pour moi et beaucoup de mes amies, ç’a eu l’effet contraire. Berlin, David Bowie, la mode, même ses bottes… tout ce que je voyais c’était : ça rocke, son affaire! ». Elle ajoute que son roman, c’est « un peu Berlin, rue Racine ».

La déesse a su capter mon attention, entre autre, par la voix de Catherine : une narratrice usant d’un langage vernaculaire, emprunt d’une authenticité déroutante et d’une parole brute embrassant à pleine bouche le lexique saguenéen.

C’était peut-être là que se cachait mon obsession pour ce livre. Je partageais des références lexicales avec Pettersen via mes origines saguenéennes (Jonquiéroise). Lire le mot « capeu », me retrouver dans des espaces comme Place du Royaume et les Monts-Valin devaient faire vibrer en moi une forme de « nationalisme ». Ma lecture permettait à ces symboles culturels de vibrer, de se dépoussiérer et ainsi secouer mes attentes comme lecteur, celles conditionnées par une trop grande consommation de littérature québécoise, standardisée et monopolisée par un français montréalais.

Éprouvais-je, lors de ma première lecture, une sorte de régionalisme que certains nomment le néo-terroir, ou encore le post-terroir ? Suis-je pris à l’intérieur de l’École de la tchén’ssâ telle que décrite par Melançon ? Répondre oui à cette question relayerait le travail de son auteure à avoir réussit à juxtaposer une grille sur son texte, et ici ce n’est pas le cas. La déesse des mouches à feu dépasse ces critères. Il y a un plus grand que ça dans ce roman.

La déesse a des cachettes que je ne suis pas encore en possibilité de saisir. Chacune de mes lectures provoquent de nouvelles questions. Je découvre que ce roman en est un du constant mouvement. Catherine ne cesse de bouger. Elle reste rarement au même endroit longtemps. L’action de chapitre en chapitre traverse les espaces. Ce n’est pas une adolescente immobile dans une ville, c’est l’aventure d’une impossibilité de rester dans un lieu spécifique. Tout bouge. L’état de Catherine bouge, la relation entre les parents de Catherine change, ses rapports avec les gars et les filles évoluent, sa consommation change, il n’y a que mouvance et changements chez le personnage et dans les décors.

Et que dire du passage où Catherine devient la Déesse des mouches à feu. Sans vouloir révéler aux futurs lecteurs de ce roman les détails, il s’y opère une métamorphose sociale pour l’héroïne. L’élévation de son rang social est une chose, mais le complément qui l’accompagne agit avec une grande poéticité sur l’imaginaire. Pettersen aurait pu utiliser le mot luciole, mais elle choisit pour des raisons lexicales la mouche à feu. Insecte singulier dans le monde animal et surtout relié au folklore en tant que feu follet, cette petite flamme qui hante la forêt. Édouard Brasey dans La Petite Encyclopédie du merveilleux parle de ces êtres comme des « âmes en peine » désirant sortir du Purgatoire. Il y à un certainement un écho entre cette définition et les événements vécus par Catherine.

Cette mouche à feu est devenue une autre obsession envers cette figure poétique. Je la retrouve[1] chez des auteurs tels que Paul Claudel, Jacques Godbout, Félix Leclerc, Gaston Miron et même dans l’une des chanson de Beau Dommage. Je me retrouve sans raison dans une quête d’intertextualité[2] et d’intermédialité beaucoup plus large que la restriction à Christiane. Il y a également une fable, ou un conte qui se cache dans La déesse. Le vilain petit canard ? La petite sirène ? Je ne saurais encore le dire.

Existe-il une cachette ou pas, dans ce roman ? Peu importe, je suis pris depuis sa sortie dans ce tourbillon. Peut-être vais-je trop loin dans mon analyse, mais La déesse des mouches à feu est ce genre de roman qui me remplit de questions, qui ouvre des horizons interprétatifs. En parcourant les quelques lignes que je viens d’écrire, il ne me semble pas avoir encore réussi à épuiser la richesse de Catherine. Peut-être qu’ici, sous vos yeux, se trouve le programme d’une recherche que j’effectuerai avec le temps.

Pour le moment, cet automne, je vous invite fortement à découvrir ce roman réédité en format de poche aux Éditions du Quartanier.

La déesse des mouches à feu est disponible en cliquant sur ce lien aux Éditions du Quartanier.

[1] « À la lueur des mouches à feu », Steve Canac Marquis Québec français, n° 108, 1998, p. 97-99.[En ligne] https://www.erudit.org/culture/qf1076656/qf1204935/56380ac.pdf

[2] On pourrait également chercher les échos d’autres textes littéraires. Il me vient à l’esprit Les Mouches de Sartre et Sa majesté des mouches de Golding.