ENTRE LES LIGNES : 1ER ÉPISODE

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« Entre les lignes », c’est le nouveau podcast
de Lis-moi ça!

Né d’un désir de conversation et de discussions avec la vie littéraire québécoise, le podcast naviguera entre différents sujets d’actualité, pour prendre le pouls de ce qui se passe au Québec. Nous receverons, de manière sporadique, différent.e.s actant.e.s et membres du milieu de la littérature, que ce soit pour échanger autour du livre, de l’édition ou de la critique.

Pour ce premier épisode, nous nous entretenons avec Julien Del Busso, directeur artistique et éditeur chez Del Busso Éditeur et Marie-Élaine Guay, qui publiera son premier recueil de poésie en septembre, « Castagnettes ».

Au menu : les implications de travailler en maison d’édition, le milieu de la poésie à Montréal et les micro-ouverts, la relation entre éditeur et auteur, et encore plus !

Le recueil Castagnettes sera lancé le 6 septembre au Quai des Brumes
Le roman Ce qu’on respire sur Tatouine sera lancé le 12 septembre au Nestor

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OÙ EN SOMMES-NOUS RENDU-ES?

Où en sommes-nous rendu-es?
Mise en perspective de la pièce White Out 

 PAR PATRICIA HOULE

L’affaire, c’est que je pourrais vous parler longtemps des œuvres de la compagnie théâtrale L’eau du bain, dirigée par Anne-Marie Ouellet et Thomas Sinou. Ça commencerait comme une histoire, avec une fille de 18 ans qui se sentait jeune, mais un peu vieille tout de même, et une paire de billets pour Impatience à l’Usine C. Elle avait invité une fille vraiment cute à venir y assister avec elle.

À ce jour, le mystère est encore intact : personne n’a jamais su s’il s’agissait d’une date ou pas, mais une chose est sûre, c’est que ça se souriait beaucoup.

Durant les dernières années, L’eau du bain a élaboré trois œuvres que nous pouvons aborder comme un triptyque, chacune se penchant sur un temps de la vie. Impatience, présentée en 2015 à l’Usine C, parlait d’adolescence puis Nous voilà rendus, présentée au même endroit en 2016, abordait différentes facettes de la vieillesse. Cette année était présentée au OFF Festival TransAmériques (OFFTA pour les intimes) une version en chantier du spectacle White Out. Comme nous le verrons par la suite, le troisième volet s’intéresse un peu de biais à l’enfance, en prenant place dans l’espace particulier qu’est la chambre à coucher au moment de l’endormissement.

La démarche de création de ces trois pièces a ceci de particulier qu’on n’y collabore pas avec des acteur-ices professionnel-les et qu’il n’y a pas de script préétabli. Impatience a été élaborée avec des adolescent-es d’âges variés, au cours d’une année ponctuée d’ateliers d’improvisations ainsi que d’explorations chorégraphiques et sonores. C’est ce modus operandi qui a permis l’élaboration d’un spectacle extrêmement dynamique où s’entremêlaient des discours, des chansons populaires, des questionnements, avec pour résultat une atmosphère d’ébullition. La création de Nous voilà rendus répondait à une logique semblable, mais les ateliers, menés auprès de personnes habitant en CHSLD, tournaient plutôt autour des souvenirs et de la perte – de facultés et d’êtres chers. Ce ne sont pas tous-tes les participant-es qui ont survécu jusqu’aux performances devant public. L’énergie qui en résultait était de facto moins foisonnante que celle d’Impatience; les personnes âgées avaient le droit d’oublier ce qu’elles devaient faire devant le public, elles pouvaient sortir de scène si elles ne souhaitaient plus parler et, cette fois, Anne-Marie Ouellet les accompagnait durant la représentation. Elle faisait office d’interlocutrice et elle s’adressait aussi au public pour raconter des bribes de souvenirs concernant la dégénérescence d’un de ses proches, son départ en maison d’hébergement, puis le deuil qui s’en est suivi.

La fille fébrile et pleine de questionnements de 18 ans, qui a vu Impatience durant une date candide, n’est pas exactement la même que celle qui s’est retrouvée face à ces aîné-es. Durant cette année, j’ai fait moi aussi cet étrange chemin, peuplé de photos à trier entre les membres de la famille, de meubles à liquider, de questions posées à une grand-mère qui était rendue pas mal essoufflée, mais qui, même dans ses derniers moments, me demandait encore : « Comment ça va, à l’école? » Après Impatience et toute une époque de premières fois résonnaient en moi les premiers deuils : le dernier toast à Noël alors qu’un grand-père en phase terminale nous souhaite « Bonne année » en nous serrant la main un à une, les cinq autour de la table; la dernière fois qu’on marche dans une maison qui a été là toute notre vie en sachant qu’elle sera détruite.

Je suis restée tout ce temps, jusqu’à aujourd’hui et demain, avec cette image en tête : celle d’une petite vieille en fauteuil, dans Nous voilà rendus, qui chante Crazy de Patsy Cline, mais qui ne se rappelle que de la ligne « Crazy, I’m crazy for feeling so lonely ». Je me demandais comment je me sentirais face à White Out, ma vie d’adulte ayant été étrangement ponctuée par ces deux premiers spectacles.

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Crédits : Facebook OFF FTA

Les productions de L’eau du bain ont selon moi la capacité de rejoindre un public extrêmement large, à la fois grâce à leur insertion de personnes non-comédien-nes, mais aussi par leur dimension essayistique et personnelle qui les amènent à aborder des moments et des thèmes à peu près universaux. Dans White Out, Anne-Marie Ouellet se fait encore narratrice et interlocutrice. Les premières minutes de la pièce sont occupées par une nuée de fumée, par des stroboscopes et des grésillements qui s’accentuent. L’atmosphère devient floue et lourde, immersive, on perd tout repère audiovisuel. Anne-Marie nous offre, comme premier monologue, un essai sur la chambre à coucher, vue comme un espace où se déploient différents types d’amour et de sentiments. Elle y fait le lien avec les aîné-es en se penchant sur tout ce qu’implique la phrase : « Il est mort tranquille, dans son propre lit », et sur l’idée que la chambre survit généralement à la mort ou au départ de la personne – elle emmagasine les expériences quotidiennes.

Le décor est constitué d’un lit décentré qui grince et craque, bruits réverbérés dans la salle grâce aux micros placés en dessous du sommier. Anne-Marie y saute, s’y lance quelques fois, s’endort, une enfant apparaît et la borde, lui enlève ses bottes. S’ensuivent plusieurs explorations : des histoires pour s’endormir, des jeux avec une lanterne en gang sous le drap, des anecdotes de tempête et d’enfants entassés dans des chambres communes. L’enfance n’y est pas un sujet à proprement parler, mais la chambre est conçue comme cet espace où l’on redevient petit. Durant une heure de spectacle, on cherche à retrouver une sensibilité et une vulnérabilité qui sont présentes le soir, à l’heure où le réel bascule au profit des histoires qu’on se raconte.

Les enfants de White Out m’ont rappelé ceux qui administrent la pension Almayer dans le roman Océan mer d’Alessandro Baricco. Dans ces histoires de bord de mer, ils sont à la fois jeunes et habités d’une sagesse millénaire. L’espace leur est perméable alors qu’ils entrent, sortent et jouent. Ils sont investis d’une mission, c’est-à-dire d’être à la fois eux-mêmes, mais aussi un peu plus, puisqu’ils veillent à l’équilibre du lieu. En parlant de la petite qui borde une adulte alors que celle-ci s’est endormie en travers du lit, Anne-Marie Ouellet souligne cette mouvance des âges en quelques mots : « Quand la femme est bien au chaud, la petite peut redevenir une enfant. » La petitesse n’est pas ici gage d’enfance, comme le fait de mesurer plus de cinq pieds ne veut pas dire que nous sommes constamment en mesure de prendre soin de nous-mêmes. C’est bien cette sensibilité pour les nuances, cette porosité des frontières entre les temps et les gens qui n’a cessé de m’émouvoir dans le travail créateur de L’eau du bain.

Si vous souhaitez en savoir plus sur mon expérience immédiate des pièces Impatience et Nous voilà rendus, mes billets parus en 2015 et 2016 en tant qu’ambassadrice de l’Usine C sont archivés ici et ici.

LQ A CONQUIS MON COEUR

par HÉLÈNE BUGHIN

Depuis que Lettres québécoises a changé de mouture pour devenir LQ en 2017, je capote SO-LI-DE. J’avoue d’emblée n’avoir jamais vraiment lu avec assiduité la version précédente, parce qu’elle n’attirait tout simplement pas mon attention. Si dans la vague ponctuelle des nouveaux numéros son ancienne maquette se confondait dans la masse, c’est là que la nouvelle équipe éditoriale réussit avec brio: en mettant de l’avant un visuel attrayant, en plus de produire du contenu de qualité accessible à tous celleux intéressé.e.s à découvrir ou redécouvrir la littérature québécoise contemporaine. Compte rendu d’une revue en plein fleurissement.

PLACE À LA CRITIQUE

Leur premier numéro, un dossier sur Catherine Mavrikakis, a vivement piqué ma curiosité. Sa couverture sobre et punchée accroche l’œil, tandis que le thème, « État de la critique québécoise », m’a surpris par son audace. C’est avec plaisir que j’y ai découvert des articles pointus sur une discipline en mutation, des questionnements, des observations, des pistes de réflexions enfin formulés par des connaisseurs à la plume aiguisée.

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Les critiques en elles-mêmes, cœur du projet, sont exactes, sensibles et réfléchies. Elles touchent aussi bien le roman que la poésie, l’essai, le théâtre, la bande dessinée, pour ne nommer que ceux-ci. Un pari audacieux, mais qui insuffle de l’espoir dans le panorama littéraire alors que les médias abandonnent progressivement le poste spécialisé de critique au profit de comptes-rendus rédigés, et ce bien souvent sur le coin d’une table. Et ces critiques ne sont pas toutes positives, ce qui rajoutent à l’expérience ; on sent un intérêt pour le texte et la justesse d’une lecture rigoureuse. À quoi bon ignorer les navets quand on peut tant apprendre des échecs ?

Pour sa part, le système de notation par étoiles permet au lecteur de se repérer dans le torrent de critiques (est-elle positive, négative, mitigée ?), en plus de ponctuer le commentaire d’un indicatif visuel dont l’indice qualitatif nivelle entre cinq étoiles pour excellent et une pour nul. Puis, à côté de la notation étoilée, on retrouve la couverture format réduit : un autre bon moyen de naviguer la revue, puisqu’on a qu’à tourner rapidement les pages pour tomber sur un titre spécifique dont on veut lire le retour critique. Chapeau à la mise en page en général, soignée et bien pensée.

ET PLUS ENCORE

Outre ce gros morceau critique, « pierre d’assise de [leur] mandat », tel que l’équipe l’écrit elle-même, chaque numéro met en scène un.e écrivain.e. Sa présentation se déploie par l’entremise d’un autoportrait, d’un portrait, d’un questionnaire, ainsi que d’un tour guidé de sa bibliothèque, pour finir en beauté avec un dossier sur l’œuvre complète. Le lecteur a donc l’accès privilégié au monde vivant et solide derrière la création. En passant par plusieurs points de vue, l’image statique de l’écrivain.e se libère pour donner la parole au concerné tout en restant intelligent, intelligible et réfléchi.

En addition, on y retrouve aussi une section « Vie littéraire » composée de chroniques et de réflexions en tous genres sur moult sujets du moment, à la guise de l’observateur convié. Par exemple, dans le numéro mettant en vedette l’excellente Audrée Wilhelmy, le chroniqueur Dominic Tardif trace le portrait de Gaëtan Dostie et de sa médiathèque regorgeant de trésors, d’artéfacts précieux. Stéphane Dompierre, quant à lui, signe une BD illustrée par Pascal Girard, « Jeunauteur », une vision amusante et parfois touchante de la littérature et de ce qui s’y rattache.

En guise de conclusion, LQ laisse carte blanche à trois créateurs. Un poème, une nouvelle et une lecture illustrée inédits, les mandats créatifs sont à chaque fois remplis par un nouvel écrivain.e ou artiste. Portant sur l’œuvre de Marie-Claire Blais, le dernier numéro contient entre autres un poème inédit de Jean-Christophe Réhel, dans un style et un registre divergeant de ce qu’il écrit habituellement dans ses recueils (mais qu’on retrouve sur sa page Facebook). Ces dernières pages sont finalement conclues par des « Critiques pour emporter », deux ou trois phrases bien courtes, assez justes pour donner envie de se renseigner davantage sur l’œuvre en question, ou de simplement se la procurer compulsivement.

Même les publicités s’accordent au concept ! Exit les placements de produits et publicités hors sujet, on intègre plutôt de pleines pages consacrées à des maisons d’édition et leurs nouveautés. Preuve ultime que la revue s’accorde dans son ensemble et que son tout est en harmonie avec la mission intrinsèque du périodique, qui est de faire rayonner et vivre la littérature d’ici.

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RICHE ET FESTIVE

Après quatre numéros, LQ se révèle être une revue littéraire riche et enrichissante, d’où foisonnent des textes de tous genres, mais toujours peaufinés et justes. Captivante, elle devient un espace où se déplie une vie littéraire en pleine forme. Des faits sont rectifiés, discutés, les auteur.es prennent radicalement vie, l’écriture prime, le contenu s’anime. J’ai aussi remarqué qu’elle se renouvelle au fil des publications, s’ajuste, modifie et coordonne pour fignoler davantage le moindre détail : la couverture du dernier numéro, celui sur Marie-Claire Blais, affiche sobrement le nom de l’autrice et son portrait, sur un fond délicieusement noir profond. Si on ne peut pas juger un livre à sa couverture, LQ prouve tout de même qu’une bonne présentation visuelle et un design attirant peut être synonyme d’un contenu de qualité.

Psst! Ils lancent justement leur numéro d’été 2018 le 20 juin à l’Escogriffe.

Pour s’abonner : LQ

« HOMO SAPIENNE » : l’essence humaine

Par HÉLÈNE BUGHIN

Groenland, terre de paysages nordiques, de glaciers et de fjords. Du moins, c’est l’image qui persiste dans l’imaginaire et les dépliants touristiques. Sauf que derrière ce tableau enneigé, il y a les habitants, ceux qui y vivent, qui l’habitent. Et c’est cette partie, souvent négligée, que l’auteure Niviaq Korneliussen tente de réhabiliter à travers les cinq nouvelles d’Homo Sapienne.

« Fia découvre qu’elle aime les femmes, Ivik comprend qu’elle est un homme, Arnaq et Inuk pardonnent et Sara choisit de vivre ». Telle est la prémisse de ce chassé-croisé entre les jeunes âmes en ébullition de Nuuk, la capitale du Groenland. Ils boivent, ils sortent, mais surtout, ils sentent en eux une puissante vérité se frayer un chemin, prendre toute la place. Certains résistent, d’autres l’accueillent et l’acceptent. Il y aura les faux pas, les regrets, les débats et les départs, mais aussi les réconciliations, le début des guérisons. Dans Homo Sapienne, les personnages expérimentent leurs identités queer, déchirés par le manque de repères, mais aussi influencés par d’autres cultures ; ils se parlent en danois, chantent des chansons pop en anglais. Sans filtre, le trash et le vrai sont dépeints au fil des pages avec lucidité et tendresse. Le vide, celui qu’on tente tant bien que mal de combler, et ce vertige propre aux questions existentielles, sont décortiquées en finesse. La jeunesse marginale, en quête de réponses, étrangère sur son propre territoire, est dépeinte dans toute sa vérité, crue et sensible, pour nous rappeler qu’au-delà de la neige et de la glace, ce sont les êtres qui font un pays.

Entre le discours et le parcours de ses personnages, Korneliussen critique du même coup la société groenlandaise. Observant les dérives de son pays, elle consigne et dénonce les côtés sombres et douloureux pour qu’ils s’imbriquent eux-aussi dans l’imaginaire collectif – parce que tout n’est pas blanc, dans cette région du Nord. Mais surtout, l’autrice dépeint toute une génération, la sienne, dans sa plus vraie fragilité, ses vulnérabilités, désireuse d’établir un rapport à l’autre, si crucial à l’ère de l’instantané, où l’autre semble si proche alors qu’il subsiste si loin, en retrait, derrière l’écran. Car dans Homo Sapienne, les rapports sociaux dominent : la communication – tout comme ses écueils – est une pièce centrale au roman. C’est ce besoin inhérent de communiquer qui m’a grandement marqué à ma lecture : chaque personne cherche à entrer en relation avec les autres, quelque soit le moyen : par les lettres, les textos, les soirées arrosées.

Au-delà des questions d’identités sexuelles et nationales, ce qui persiste, dans Homo Sapienne, c’est l’humain, dans son essence, maladroit et seul, à la recherche d’un foyer, d’un être ensemble. Outre la problématique queer, les enjeux culturels et la décadence d’une jeunesse coincée, il y a ce mal de vivre universel, celui qui peut soudain prendre à la gorge. Un premier roman admirable, écrit dans l’urgence, mais crucial et porteurs de promesses.

Pour se procurer le livre, c’est ici.

 

*merci à la Peuplade pour ce service de presse

PUT ON YOUR DANCING SHOES : hamsters et fantômes d’abord

par JEAN-GUY FORGET

 

Le Baron vous convie à un soir de bal, un party avec des gâteaux qui revolent jusque dans le fond de votre mémoire. Pis des jeux pour passer le temps avec camaraderie, mettons que le party tarde à pogner, peut-être trop occupé à biérer.

 

Mario Party 3 est sorti en 2001. J’étais un septenaire, à une couple de mois d’être un huitenaire. Mon père avait caché le jeu dans son garde-robe pis je l’avais trouvé, deux-trois semaines avant Noël. Ça te gâche un punch pis ça te mine un peu la magie du temps des fêtes, mais, déjà à sept ans, ce qui comptait c’était le party, pas la surprise, c’était le fun à se redécouvrir dans notre « encore-là » plutôt que celui de se rencontrer pour la première fois.

Ça fait presque trois ans que Baron Marc-André Lévesque nous a donné en offrande (à nous, lecteur-ices, et aux dieux de l’Olympe) Chasse aux licornes aux Éditions de L’écrou. Trois ans à lire et relire des poèmes qui finissent tous « de même ». La surprise s’usait, mais se réactualisait à chaque lecture, comme si chaque lecture évacuait le froufrou pour laisser Chasse aux licornes couler au fond de nous. Sauf que les choses sont loin de toujours finir « de même », et c’est ce que le Baron s’est assuré à montrer entre ninjas, dragons et matelots qui s’en calissent. Mais qu’est-ce qu’on fait une fois que les choses passent toujours vraiment proche de finir de même, même si la fin est douce? On trouve un-e partenaire et on apprend le tango, question de toute revirer à l’envers.

Toutou Tango, ce n’est pas un après-Chasse aux licornes, ce n’est pas un « ben-voyons-donc-finalement-ça-l’a-pas-vraiment-fini-de-même ». C’est un bal dans tout ce que ça l’a de fun, d’extravagant et de chaotique. Tantôt, ça nous projette direct dans le bonheur de nos petites nostalgies, comme cette fameuse fois où on a vu quelqu’un se faire lancer un gâteau dans la face en slow-motion pis que ça l’a traversé l’espace-temps. Plus tard, ça nous rassure, comme une petite main sur l’épaule qui dit que tout est correct quand on en a vraiment besoin, comme quand notre ami imaginaire nous ignore, parce que ça lui arrive d’être distrait. Toutou Tango, au fond, c’est la mise en magie des choses. Baron fait un nœud avec l’ennui pis la page blanche pour les faire apparaitre derrière notre oreille, recouverts de p’tits bonbons et de sorcières. Avec sa partie centrale, « Jeux », c’est l’expérience de lecture d’un poème qui est magie. Tout est ludique, même les examens, et personne ne pourra dire que la poésie c’est plate sans se ramasser pourchassé par une manifestation de robots, un Jean-Claude Van Damme au bord de la substitution. On reprochera par contre à Toutou Tango de se garrocher un peu trop de tous bords, tous côtés, en Mario pitchant Bowser vers une mort certaine mais qui tough son spin rien que pour le fun, au risque de s’essouffler plus vite que son premier recueil. Les jeux, une fois qu’on a compris le truc, nous laissent un petit sourire narquois de « je-sais-ce-qui-s’en-vient-mais-je-ne-te-le-dirai-pas », un after-taste doux qui ne parvient pas vraiment à en justifier la relecture si ce n’est que pour comparer ses réponses entre ami-es.

Pour jouer avec les petits rien, Baron énumère et fait des listes, fait un Cavalcade en Cyclorama qui s’en va dans le sens du magique et, avec cohérence et poésie, traverse le off-road de l’imaginaire plutôt que de faire un tissage de pensées en chaine comme Marc-Antoine K. Phaneuf. Lister, c’est épuiser le sens, mais quand c’est Baron qui le fait, il insuffle un nouveau sens aux images en nous montrant tous les possibles que peut renfermer ne serait-ce qu’une tisane. Dans la zizanie confuse de la célébration, Baron met en scène les personnages de notre mémoire collective comme Ginette Reno, le James Bond de Pierce Brosnan et Casper, pour les faire danser avec sa mère et ses « que je te woueille » à Gatineau, la ville du vice. Le recueil brille, malgré sa cacophonie parfois déboussolante, quand il arrive à jongler adroitement entre nos référents et ceux du poète pour que, du choc entre les deux, jaillissent de quoi comme une intimité. Une intimité qu’on regarde briller pendant qu’on la souffle hors de la cassette Parce qu’à son meilleur, Toutou Tango nous montre le beau qu’on a trop souvent délaissé dans l’étagère à jeux de notre enfance.

Un moment donné, les jouets se sont convertis en tableaux pis en cassettes. Des cassettes de dessous de sapin qui font notre année, si ce n’est pas notre enfance au complet. Ça génère de la nostalgie, à partir de nostalgie. Dans toutes les cassettes de Mario Party, il y en a des moins bonnes que d’autres. Les nouveaux Mario Party ont cherché à étirer la nostalgie à son maximum jusqu’à ce que l’élastique pète. Baron joue sur cette nostalgie, mais plus habilement que Nintendo. Il nous organise un party avec cette nostalgie-là, nous invite à faire participer nos ami-es (imaginaires ou pas) et notre famille (et la sienne). La nostalgie n’est pas forcée, elle se matérialise, elle prend forme et devient elle-même une invitée de plus avec qui jaser autour d’une bière. Au fond, c’est peut-être elle qui reçoit le gâteau dans la face, pendant que nous sourions au poids de la vie qui nous caresse la joue, qui fait doux. Je n’aime pas les notes en critique, mais je peux vous affirmer que Toutou Tango est plus Mario Party 3 que 7, mais pas tout à fait le 1. Qu’au fond, avec son nouveau recueil, Baron Marc-André Lévesque n’a pas cherché à jouer sur la nostalgie, il en a créé avec le sable dans nos sandales, resté là depuis Chasse aux licornes, pour qu’on ait le sourire aux lèvres, même quand les gears de notre tête ont besoin d’un petit gossage. Certain-es diront que le premier opus était meilleur, mais en bout de ligne, ce qui compte c’est le fun qu’on a à se perdre dans un party, même si les visages y sont familiers.

 

SUR L’AUTEUR DE LA CRITIQUE
Jean-Guy Forget est né à Montréal la journée du mariage de Michael Jackson et Lisa-Marie Presley. Il passe son temps à saccager des micros-ouverts avec ses Goonies et travaille sur son premier livre, PO/LY, à paraitre chez Hamac en 2018.

 

Pour vous procurer le recueil, c’est ici.

RETOUR SUR LE OFF-POÉSIE

Par HÉLÈNE BUGHIN

Durant la fin de semaine du 5 au 8 octobre se déroulait la onzième édition du OFF-Festival de poésie de Trois-Rivières, occasion rêvée d’aller entendre – et/ou réciter – de la poésie, face au fleuve et entre amis. Dans le À propos de leur site, l’organisme se décrit comme une « réponse au Festival international de poésie de Trois-Rivières », une tribune pour la poésie émergente, les maisons d’éditions indépendantes, un podium pour l’ombre qui souhaite s’exprimer et un lieu de partage de créations éclectiques. En bref, « un événement le fun qui fête la poésie pas plate! ». Et c’est effectivement ce que nous avons pu vivre, durant cette fin de semaine d’automne électrisante, au bord du St-Laurent.

La programmation alléchante proposait une multitude d’activités, durant lesquelles il était certain qu’un paquet de voix tout aussi multiples allaient s’élever et faire vibrer les salles. Le coup d’envoi s’est fait le jeudi, lors du premier événement, Péril en la demeure, soirée festive durant laquelle s’est dressé le bilan poétique du « patrimoine vivant » du centre du Québec, la poésie locale se rassemblant pour une mise au point, pour se réchauffer et faire refresh sur l’état de sa situation, au Mot Dit bar. S’en est suivit, vendredi, d’une exposition au café Frida, Aiming for the Gut de Mivil Deschênes et Jean-Sébastien Larouche, combinant dessins et poésie, une investigation de notre ère et de la vérité douloureuse, propulsée par l’urgence de dire, une autre mise au point, mais cette fois sur l’époque dans laquelle nous évoluons. Dans la même soirée, un double lancement, celui de Calamine, de Mélanie Jannard, et Priscilla en hologramme d’Érika Soucy, deux femmes du comité organisateur du OFF-festival. Une soirée prometteuse avec un line-up de poètes et auteurs incroyables qui offraient au public des lectures de textes inédits.

Samedi, on a eu droit à une projection de Marc-Antoine K. Phaneuf, une recherche sur l’identité québécoise ainsi qu’à la prestation fulgurante de Mathieu Arsenault lors de La vie littéraire, qui a fait salle comble, la chaleur étouffante comme preuve concrète d’un engouement général. Lors de cette performance dénudée d’attirail et de décors nous a été lancé au visage un texte puissant, résolument vivant, et pour ceux familiers avec sa lecture, l’entendre crié par son auteur même est venu brasser de quoi au fond des tripes, nous rappeler la force, la puissance et le sacrifice qui subsistent dans l’écriture.

Puis est venu dimanche et son micro-ouvert, durant lequel ont défilé des néophytes de la scène ou des habitués, suivi de la très attendue Soirée de poésie et autres paroles publiables, où se mettaient en scène des paroles venues de tous horizons, de partout au Québec : une déferlante liste de voix prometteuses dont les textes s’articulaient de près – ou de loin – du genre poétique.

 

On a eu droit, en somme, à un festival foncièrement essentiel où ont résonné des voix puissantes et diversifiées, pour nous rappeler que la poésie est toujours ardente, vibrante et résistante. Allant d’une programmation prometteuse à une exécution brillamment réussie, le OFF-poésie m’a redonné confiance en la vitalité du genre et m’a confirmé sa grandiose émergence. De quoi donner envie à une douzième édition tout aussi punk !

Pour se procurer La vie littéraire, c’est ici.

L’AMITIÉ TOUTE-PUISSANTE

Critique et commentaire sur « Janvier tous les jours » de Valérie Forgues

Par CYNTHIA BOUTILLIER

Il est des lectures qui nous marquent, qui nous prennent au ventre, qui s’impriment en nous comme sur du papier carbone. C’est l’effet que nous laisse Janvier tous les jours de Valérie Forgues, un roman qui ébranle et apaise à la fois, qui nous confronte à la mort, à l’amour qui fait mal ou qui fait du bien, à l’écriture aussi, celle qui libère, qui blesse, qui rassérène ou nous fait violence. On y retrouve d’ailleurs la même sensibilité et ce sentiment particulier de vertige que revêtent d’autres oeuvres de l’auteure québécoise, tels ses recueils de poésie L’autre saison (2007) et Une robe pour la chasse (2015).

Janvier tous les jours repose sur l’histoire d’une amitié indéfectible, finement tissée, celle de Janvier et Anaïs, narratrice et personnage principal du roman. Depuis l’enfance, ils se sont tour à tour improvisés jumeaux, mari et femme, pour devenir amoureux, et demeurer, à la vie, à la mort, âmes sœurs. Le livre est construit de très courts chapitres, oscillant entre une et quatre pages, s’accordant au rythme effréné des images qui se bousculent dans la tête d’Anaïs. L’ensemble se divise en trois parties qui tracent le parcours de la protagoniste : « L’arrachement », « La traversée » et « La sublimation ». La trame narrative propose au lecteur plusieurs sauts dans le temps correspondant aux souvenirs de la narratrice, à sa fuite et au présent, tous habités par Janvier, son ami, son amour.

Au début du roman, Anaïs, dans la trentaine, raconte la vie et la perte de Janvier, à qui un cœur « malformé » (p. 12) le destinait à une trop courte existence. Consciente de son état depuis leur enfance, elle a esquissé, au fil des ans, le visage de la mort qui porte les traits doux de son ami, avec sa « valvule légèrement trop basse, un ventricule trop petit, une oreillette géante, des signaux électriques chaotiques » (p. 12). Janvier avait toujours vécu au Château avec sa tante Noëlla, près de la rivière Saint-Charles, dans la Basse-Ville de Québec. Anaïs s’y réfugie, dans la réalité comme dans ses souvenirs, intercalés dans le récit. Elle replonge dans la rivière, revisite ses abords, retrace le chemin des courses parcouru avec Janvier et Noëlla. Tout se révèle nécessaire pour continuer de faire battre le coeur de celui qui lui manque.

Il n’a pas été facile pour Anaïs de trouver du sens dans la mort inévitable de cet être qui lui était si cher. C’est ce qu’elle avait tenté de faire, malgré que tout semblait lui échapper, qu’elle savait que son ami ne pourrait plus vivre que dans les histoires qu’elle inventerait pour lui :

« Quand on sait qu’une personne qu’on aime va mourir, on s’y prépare comme on peut. On lui parle, on lui confie nos secrets et tout ce qu’on n’a jamais osé dire, on recueille ses mots comme des pierres précieuses. On s’occupe d’elle, on déclare son amour mille fois et on se dit que nous, le survivant, on va vivre à cent à l’heure, parce que la vie est courte, parce que c’est beau et qu’il faut en profiter. J’essaie de faire tout ça, de donner un sens à l’arrachement. » (p. 36)

Mais comment s’arracher à tout ça? Anaïs vit autrement la perte coup-de-poing de son complice. Si Janvier n’est plus, elle doit partir aussi : « Je veux disparaître; comme lui, me mêler au vent, à la terre, aux racines des arbres, aux fleurs. » (p. 45) Son ami disparu lui est comme un membre amputé; sa présence demeure, forte, et remplit ses journées de son éternelle absence (p. 61). Cet effet est extrêmement bien rendu par la narration, qui comble le vide laissé par la mort de Janvier de différentes façons. S’entremêlent harmonieusement des retours dans le temps, la manifestation d’un désir de fusion avec la nature et cette impression de vivre et de mourir par procuration.

Pour chasser sa mélancolie, Anaïs prend la fuite. Elle loue en vitesse une chambre dans une maison de campagne à une heure de Paris, chez Lili et Kwan, qui accueillent deux autres locataires. Son évasion traduit sa volonté de trouver un sens au vide qui l’enserre, à cette impression constante de noyade et d’absence habilement illustrée par la poésie du texte. C’est à travers ses nouvelles rencontres, le regard d’un homme, la nature et la littérature qu’elle entreprend d’y parvenir, qu’elle orchestre son propre sauvetage. Elle convoque d’ailleurs maintes fois des auteurs qu’elle affectionne (Jacques Poulin, Robert Lalonde, Amélie Nothomb, Boris Vian, Gabrielle Roy, L. M. Montgomery), dont les mots l’éclairent sur l’amour, la mort, la beauté.

Anaïs écrit, elle aussi. Elle écrit depuis qu’elle est toute petite, depuis au moins aussi longtemps qu’elle connaît Janvier. Ses mots sont pour lui, sur lui. Cependant, à tout fuir, la jeune femme en vient à se recueillir dans sa solitude, à dresser une barrière qui lui devient de plus en plus difficile à surmonter. À défaut de la libérer complètement, l’écriture ravive le feu qui rugit dans le creux de son ventre. Anaïs croit tantôt s’enraciner, tantôt se mettre à l’abri, se replier sur elle-même. Tiraillée et endeuillée, la protagoniste finira toutefois par trouver en elle la force de recouvrer un certain équilibre pour se reconstruire. Les mots et les souvenirs, points d’ancrage de cette histoire, l’aideront à transporter la voix de Janvier, à refaire vibrer son coeur. Son ami reprend alors vie dans une odeur, une chanson, les murs du Château, dans les pages de son roman.

Janvier tous les jours raconte. Il raconte l’amour, l’amitié toute-puissante. Il raconte le déchirement et le deuil, la beauté et la vie, avec tout le coeur de ses personnages, donnant pour résultat un parcours émotionnel très bien dosé. Valérie Forgues nous livre un roman qui aborde des thèmes qui nous touchent tous, et les dissèque en profondeur. L’absence, thématique capitale dans cet ouvrage, se voit pleine de ce qui permettra à la protagoniste de se sauver elle-même. Même si la souffrance d’Anaïs reste, qu’elle ne se terrera jamais, celle-ci comprend qu’elle doit vivre avec elle, l’apprivoiser, la transformer et l’accepter. Amitié et mort s’opposent et dissonent, pour finalement se réunir sous les formes de la mémoire et de l’écriture et permettre à Anaïs d’émerger de la rivière dans laquelle elle coulait. On y confirme ainsi à quel point l’acte créateur peut se révéler au service de la cicatrisation, jusqu’à se sublimer pour y arriver. Ce roman apparaît comme un authentique témoignage de l’amitié qui perdure, triomphe et grandit au-delà de la mort.

Je suis certaine que ces pages, empreintes à la fois d’une douceur et d’une violence désarmantes, dans lesquelles chaque phrase devient poésie, sauront vous charmer autant qu’elles m’ont conquise.

 

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EN ATTENDANT SA CHUTE

Par HÉLÈNE BUGHIN

La scène d’En attendant sa chute est au septième étage d’un bloc appartement en plein Vieux-Montréal, avec une vue imprenable sur la piste cyclable qui mène au Canal Lachine. Faisant fi des risques d’averse, l’équipe a heureusement pris la chance d’installer le micro dehors, dos à l’horizon, sous des banderoles festives. Ainsi est transformé le jardin communautaire du toit sur lequel nous sommes regroupés en petite salle de spectacle à air ouverte.

Organisé par deux résidentes de la Coopérative Cercle carré, le spectacle de poésie promet son sur événement Facebook (affiché complet quelques jours avant) des voix fortes et émergentes, pour « faire résonner des voix et des résistances en plein cœur de cet espace hostile et hégémonique ».

 

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Clémence Dumas-Côté lisant un extrait de « L’alphabet du don »

 

Les spectateurs, dispersés en petits groupes, discutent sur fond de paysage métropolitain : entre les bâtiments industriels, l’enseigne de la Farine Five Roses clignote, apposée sur un ciel de grands nuages bleutés. L’humidité colle aux cheveux, le soir tombe lentement et on perçoit, lointains, quelques éclairs timides. Certains poètes attendent texte à la main, une bière dans l’autre.

 

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Jean-Christophe Réhel

 

« On se pitche all in, des textes lancés aux condos d’en face, la poésie qui prend le dessus pour une fois. On s’accroche à rien, on n’y pense pas trop, on veut dire : on plonge dans le vide car c’est comme ça qu’on veut la vivre la poésie, le temps d’une soirée », annonce la description de l’événement. Et comme pour y faire honneur, dès les premières prises de parole, un écho naît et rappelle les immenses structures et gratte-ciels aux alentours. Silencieux, les auditeurs sont hypnotisés par les lectures qui s’enchaînent – comme si la hauteur conférait une férocité à la déclamation, comme si l’immensité de l’horizon rendait plus grande encore la portée de la voix. Un des invités, pendant sa lecture, crie à plein poumon au micro, dans un élan exutoire qui résonne dans la ville.

 

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Marie Darsigny

 

 

Au final, et malgré une pluie soudaine qui a contraint la retraite en des lieux secs, la soirée se déroule à merveille – les textes sont riches, surprenants, vifs, consistants.

 

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Emmanuelle Riendeau

 

Et alors que nous quittons à la queue-leu-leu le toit, que la nuit s’installe définitivement sur Montréal et que s’illuminent les rues et les fenêtres, j’entends deux filles discuter :

« C’tait tellement beau que même quelqu’un qui aime pas la poésie aurait aimé ça ».

PENDANT QUE LES CHIENNES PLEURENT

Par MARIE-HÉLÈNE RACINE

 

les lunes de cendres
s’abstraient à mes doigts
qui se fondent
paresseusement
pendant un quart de siècle

 

battements d’horloges
sur plateformes dansantes

 

j’ai le mal de rire
mon dos bien droit
effet pantin qui s’attriste
de plus savoir compter

 

 

 

au fond de mes paupières cellophane
il y a un lourd sirop
que mes cils tranchent rageusement
sans l’ombre vermeille d’un respir

 

un champ de genoux en colimaçon
de fougères attrapes-cœur
de pissenlits à l’envers
où tous et toutes s’abreuvent
à même la fontaine du malheur

 

j’ai supplié ma faim
sans y accrocher mon sommeil
m’effilochant une à une
ces dents de petite femme
assise dans l’immense royaume
où aucun oiseau n’existe

 

 

 

 

point de fuite

par ÉLODIE DUGAT

sur le quai de la gare un adieu rappelle ces romances imaginaires un écran qui leurre la facette de ton apogée sentimentale déjà trop loin dans le vague à ne plus reconnaître le reste tu t’ébauches difficilement je suis folle et tous ces oiseaux autour de ma tête me volent mes yeux folle dans l’ombre du vent ils emportent ma peau dans le gouffre folle au revoir à la prochaine chicane ce sont mes derniers aveux libres avant de sombrer au sommeil désir corps la dope de mon sort toujours plus grand plus petit Montréal m’attend mais où dans lui dans elle dans le gars d’à côté je me perds en mascarades le sommeil me prendra tôt j’arriverai à mes fins demain le soleil ne se couche plus mes yeux charognes vomiront la lumière mon crépuscule menace ton image de moi charogne qui tremble attachée à ton chemin de fer j’aurai le sommeil profond lorsque plus personne ne m’aimera