INTRODUCTION À LA VULNÉRABILITÉ

Par HÉLÈNE BUGHIN

Après avoir traversé le quartier entourant la station Georges-Vanier, j’arrive à une ancienne usine reconfigurée en centre d’exposition privé, à la fois élégant et peaufiné : l’Arsenal.

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BRIGITTE EST PAS FOLLE

par SIMON HARVEY

 

La période des fêtes m’a permis de dépoussiérer, dans ma bibliothèque, quelques livres m’attendant depuis le mois de septembre. J’avais peut-être bien fait de ne pas tous les lire. L’un m’a fait demander pourquoi ce roman était un succès de librairie, tandis que d’autres ont su marquer mes vacances. C’est surtout le deuxième tome de la trilogie Brigitte des Colères (2010-2012), de Jérôme Lafond, qui m’a fait le plus réfléchir sur la mince ligne qui existe entre création et folie. Dans L’exterminacoeur(e) (2011), Brigitte sort tout juste de l’hôpital et elle tente de reprendre une vie normale, quoique celle de notre héroïne reste toujours en marge.

Le premier tome de la série nous invitait à plonger dans l’univers chaotique et poétique de la jeune fille rousse de Sainte-Scholastique dans les Laurentides. Sa lecture surprenait par les machinations et les fabulations de Brigitte. J’avais durant ce premier tome laissé de côté l’entreprise artistique au détriment des actions de la jeune pyromane.

Brigitte et moi avons manifestement eu du temps pour réfléchir sur la puissante inspiration artistique qui sommeille en nous, celle-là même qui, s’apparente parfois à de la folie. Elle embrasse littéralement et littérairement cette douce folie, entre autres par sa relation avec Béatrice, étudiante en art visuel au Cégep. La santé mentale et la création sont mises en scène par cette relation dès les premiers chapitres.

Brigitte est en admiration envers les toiles du groupe d’art thérapeutique « Doux nocturnes ». Cinéma, art visuel et tous les genres littéraires passent dans ce roman. L’intermédialité et l’intextualité y sont intégrées avec soin. Ils apparaissent comme des références typiques pour nos deux jeunes cégépiennes.

La force du texte réside dans bien plus encore. La narratrice interrompt régulièrement la focalisation de son récit, nous faisant passer d’une tranche de vie dans la peau d’un chat à l’inquiétante allégorie de la « pucelle-coccinelle ». Tout aussi, il y aurait à vanter la présence directe de poésie à travers les différents chapitres, des simples vers qui viennent en tête à Brigitte et qui parsèment l’écriture de sa propre histoire. Cette poésie accompagne tel un filet de secours la morosité de sa réalité. Signe ici que la folie créatrice est peut-être le seul remède aux maux du quotidien. Accepter qu’il sommeille en nous des grains de folie : c’est l’un des messages de Brigitte. Voilà le puissant moteur qui permet à ce récit de post-hospitalisation de se développer.

 

Je ne sais pas si je suis fou, mais c’est ça que je vois là-dedans.

 

Vous pouvez vous procurer la trilogie de Brigitte des Colères de Jérôme Lafond en cliquant ici.

 

JE N’IRAI PAS VOIR NELLY

Par HÉLÈNE BUGHIN

C’était dimanche passé. En épluchant le dépliant du cinéma, mes yeux n’ont pu s’empêcher de zieuter un titre en particulier, Nelly, ce film d’Anne Émond récemment à l’affiche au Québec. Férue de lecture, j’ai pourtant finalement porté mon choix ailleurs.

Tout d’abord, j’adore l’apport de Nelly Arcan à la littérature québécoise, perpétuellement en renouveau. Elle fut pour moi, comme pour d’autres, un modèle de courage en matière d’illustration de soi. L’ouverture que l’écrivaine avait sur sa vie a été une preuve que l’écriture arrive à transcender les barrières de la réception, et que, malgré les opinions sur le texte reçu, la vérité peut primer sur l’ornement stylistique (bien qu’elle sût manier les deux). Qu’être vrai(e), dans sa saleté, sa tristesse, sa vulgarité, mais aussi sa féminité, c’est possible.

La bande annonce m’a cependant laissé un goût amer. Quelque chose d’étrange dans la reconstitution d’une figure connue, mais encore, à ce jour, mystifiée. De fait, je ne sais toujours pas si le visionnement d’un biopic (ou film reprenant des éléments réels d’une personne ou personnalité), constitue un hommage ou un acte de curiosité.

Ce montage de quelques scènes, retrouvé sur Youtube, m’a laissé sur un sentiment de voyeurisme. Des fragments qui m’ont été présentés, j’ai retenu un choix d’exhiber la prostitution de l’écrivaine, un désir d’illustrer encore Nelly Arcan en une sulfureuse personnalité plutôt qu’en écrivaine tourmentée, mais assurée. L’impression d’un regard du spectateur primant encore sur l’essence de l’histoire, sur le personnage, sur l’écrivaine. Une mise en scène pour le plaisir visuel. Il y a aussi cette impression de fétichisation, d’une imagerie du visage parfait en une réalité turbulente, une déchéance à l’écran, documentée et matérialisée.

Une fascination implacable, donc, et une curiosité. Seulement, il m’est difficile d’assister à la performance de Mylène McKay, aussi superbe soit-elle.

Nelly Arcan, c’était plus que ça.

Il y a (très) certainement des éléments cinématographiques grandioses qui méritent d’être applaudis dans ce que nous livre Anne Émond ; un angle particulier sur l’histoire retenue, un traitement du genre cinématographique qui répond aux attentes des spectateurs curieux, des pistes de solution quant à la disparition de Nelly Arcan. Un jeu d’actrice travaillé et affiné. Pour preuve, critiques positives et entrevues pour les deux femmes se multiplient.

Bien que louable, l’entreprise du film, comme n’importe quel autre, ne s’arrête pas à sa projection. Il faut se rappeler qu’inscrit dans une lignée de représentations, l’objet filmique contribue à la mythologie entourant le sujet, en l’occurrence Nelly Arcan. En a-t-elle réellement besoin ? Est-ce nécessaire de fétichiser la vie abrupte et conflictuelle d’une écrivaine morte jeune et fragmentée ? Parle-t-on assez de son écriture, la raison d’être de sa concrétisation en tant que personnalité ? À quel moment une figure connue tombe-t-elle dans le domaine public ? Ces questions me retiennent d’apprécier le document visuel proposé.

Le noyau de l’écriture de Putain est, selon moi, une femme qui écrivait et cette condition formait son malheur : c’est là que se fragilisait sa position, de par son image de femme et de femme belle, désirée, voulant à la fois être en accord avec elle-même et les critères de la société. C’est cela, l’essence de son écriture, plus que l’illustration des relations hommes/femmes : l’insoutenable vision de soi dans les médias, hors de son contrôle, hors des mots, hors du livre. L’impudeur de Nelly Arcan était sienne, et sa mise en scène me cause problème.

Je n’irai pas voir Nelly pour ne pas déformer ce que je retiens des mots d’Isabelle Fortier. Pour ne pas poser de filtre sur le visage que je connais. Je préfère la rencontre papier.

On dit par contre qu’un film n’est jamais fidèle au livre. Ça, je le reconnais pleinement, et je comprends ceux qui souhaitent chercher en ce film quelque chose que je ne peux pas trouver. D’honorer la mémoire d’une disparue à leur manière.

Mais pour le reste, il y a la lecture.

Suggestions :

L’œuvre intégrale de Nelly Arcan (Putain, Folle, Paradis clef en main, Burqa de chair, Peggy).

Je veux une maison faite de sorties de secours, 2015, hommage à Nelly Arcan dirigé par Claudia Larochelle, et Cie.

DIX TITRES POUR 2016

DIX TITRES / 2016


Il va sans dire : ce fut une année merveilleuse pour la lecture. Entre la multiplication d’initiatives et les nombreuses célébrations autour du livre, nous avons constaté un intérêt marqué pour la littérature québécoise. Excellent !

Pour clore l’année 2016, voici une proposition de dix titres québécois (ou parus au Québec) qui auront marqué les lectures proposées par Lis-moi ça.

Par HÉLÈNE et SIMON


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Royal, Jean-Philippe Baril-Guérard

Lu d’une traite, Royal de Jean-Philippe Baril-Guérard est indéniablement explosif et rend grâce aux pires dépravations égoïstes avec, en son centre, un anti-héros à la froideur des plus surhumaines, une élite de la société dont le carcan aura gangrené sa morale, ne lui laissant qu’une coquille remplie tant bien que mal de drogues, de performance et de notions de droit. Une narration exquise.

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Moi qui marche à tâtons dans ma jeunesse noire, Roxane Desjardins

Large et mouvant recueil de poésie, c’est une fois ouvert que nous est dévoilé la créativité de l’auteure. Les pages couvertes de poésie sont étoffées de dessins et de calligraphies manuscrites. La plume à la fois touchante, honnête et rude, en fait un livre nous faisant retomber à coup sûr dans le flou et l’incertain de l’adolescence.

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Vox populi, Patrick Nicol

Qualifiée de pas de côté dans un article de presse, cette plaquette peut paraître comme un exercice de style, mais c’est le sujet, le personnage qui intrigue et qui nous fait tourner lentement les pages. Car Vox populi est une ouverture discrète sur une normalité que l’on prend pour acquise. Cette vision moyenne de la vie sera, ici, auscultée d’une plume rigoureuse.

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Quelque chose en moi choisit le coup de poing, Mathieu Leroux

D’abord, il y a ce titre intriguant, puis cette couverture frappante et une fois ouvert, un contenu regorgeant de notions, de réflexions, ancré plus que visiblement dans la réalité avec, notamment, des discours sur la représentation, la performance de soi dans les arts, le tout accompagné de théâtre. Une lecture infiniment pertinente.

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Le guide des bars et pubs de Saguenay, Mathieu Arsenault

Arseneault présente  ici poésie et réflexion du quotidien à partir du procédé du téléphone-carnet. Le poète se fond dans la faune des bars et des pubs de Saguenay pour en capturer l’ordinaire spectaculaire. On peut le lire d’une traite, ou uniquement pour ses passages d’essai, ou comme un recueil de poésie : l’hybridation entre les deux genres est rendu avec brio par son auteur et témoigne d’une vraie réflexion quant à l’écriture contemporaine.

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Les volcans sentent la coconut, Jean-Christophe Réhel 

La réticence est possible face à la poésie de Réhel, mais une fois penché sur ces volcans à la noix de coco, il nous est dévoilé un monde foisonnant où sont superposées évocations et références, élégamment amalgamées dans un carnaval poétique des plus intenses. Ardu, mais fascinant recueil imagé.

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Mèche, Sébastien B. Gagnon

Poésie agréable, savoureuse, qui coule devant les yeux pour former un recueil tangible, frappant, bercé par une musicalité sans pareil. Les pages se tournaient toutes seules et les mots se dévoilaient dans toute leur finesse et leur justesse. Un recueil fort prometteur d’un poète qu’on suivra de près en 2017.

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Je n’ai jamais embrassé Laure, Kiev Renaud

Une cordée de femmes prennent place, fières, sous le crayon discret de Kiev. Malgré la taille délicate du livre, il en ressort des portraits vifs et justes, des personnages marquants dont les liens broderont un drame poignant. Le tout dans une économie de mots gracieuse. Une écriture qui vaut le détour et dont on savoure chaque choix de mot.

 

La faim blanche, Aki Ollikainen

Récit proche du conte relatant la traversée d’une famille finlandaise du dix-neuvième siècle, il s’agit sûrement du titre par excellence lorsque vient le temps de saluer le travail de traduction des Éditions de la Peuplade. Une excellente occasion, au Québec, de découvrir les littératures nordiques.

 

Fourrer le feu, Marjolaine Beauchamp

D’abord découverte avec Aux plexus, toujours aux éditions de l’Écrou, la slameuse et poète Marjolaine Beauchamp revient en force avec un recueil tout aussi émouvant, précis et franc.

POUMONS

Par HÉLÈNE BUGHIN

pressée pressée je m’extrais le jaune du sourire

(hésitation du souffle)

inspirer
prolonger

ça serre ça sert à rien me défaire de ce propre corps il ne me quittera pas
sauf ce souffle immense
ce même refrain ce même bruit ambiant et
mes épaules saccadées

les nervures cisaillent ma poitrine je touche l’extrémité de ma tension
je me tortille fendue en deux
ma gorge vacille

je ne sais plus m’écouter

 

 

ce n’est pas moi qui tourne les jours
mais cette vive absence
engourdissant mes joues

j’ai dans la tête
la masse d’un cri

en ligne sur mon corps
marques et crevasses
d’une arrachée au monde

 

 

parfois il y a seulement ce ventre et
en orbite
mon attention indicible

un doigt scrute la profondeur du
blanc chaviré les lésions
parfaitement immuables

au renflement qu’est l’aine
ma main ne plonge jamais tout à fait
le ventre gonfle oubliant d’aboutir
mes dents mordant mes dents une
mâchoire frémissante

 

 

tendue se pend l’impatience

glissent tes doigts quand sursaute mon souffle
se croisent nos nœuds
déraille la langue

vertige de lèvres fendues

main au creux du cou
un parasite parle chacal

nos immensités rétrécissent

le point le poing
levé
soulevé

 

 

il vient vers moi je perçois sa
trajectoire

près de moi
se courbe en mon axe

il frôle la ligne et moi
impuissante de trop aimer ça

je vois pourtant cette main tordue
raréfier la distance entre l’inévitable

il pousse des cornes
aux roses de nos corps

VAINCRE LA NUIT

PAR HÉLÈNE BUGHIN

Cacophonie de salutations, festival de mains serrées et têtes hochées, discussions animées : ce soir, au Quai des Brumes, c’est Vaincre la nuit, micro-ouvert littéraire à contribution volontaire qui, peu à peu, commence à prendre ses assises dans le paysage montréalais.

Il est huit heure et demie. À l’arrivée, on constate que les places assises sont déjà comblées. Les curieux se massent au bar tandis que les musiciens, en l’occurrence le duo Confiture, accordent leurs instruments. Ce soir, 24 octobre, se déroulera la version 2.2 de l’événement sorti tout droit de la tête de Melyssa Elmer et du doorman, Christopher.

Habitués de l’endroit, c’est rempli d’ambition qu’ils se sont lancés dans l’organisation de cette soirée de poésie. Outrepassant leur appréhension d’un public déjà accoutumé à une ambiance festive et bruyante, ils ont choisi une date, puis un logo réalisé par Odrée Laperrière, illustratrice. Et les passionnés ont répondu à l’appel. « Le mois suivant, il y avait une file à l’extérieur et nous avons dû refuser plusieurs dizaines de personnes », souligne Melyssa.

Qui a dit que la poésie se devait d’être limitée au lyrisme et aux livres ? Certainement pas la multitude d’orateurs que la scène a vu défiler, ayant comme seule contrainte le temps. Le texte présenté doit durer moins de cinq minutes, qu’il soit inédit ou d’un auteur connu, en français comme en anglais. Mais, justement, qui sont ces orateurs ? Les organisateurs soulignent que « certains lecteurs sont plus habitués, même professionnels alors que d’autres lisent en public pour la première fois ».

Dans la salle, certains visages semblent effectivement familiers – des personnalités qu’on reconnaît, des habitués des micro-libres. Il y a aussi des gens penchés sur leurs cahiers, ou éclairés par leur cellulaire, récitant du bout des lèvres un texte en ligne. Au plafond, la boule disco fait pleuvoir sur la foule plongée dans la pénombre des éclats lumineux. Aucun doute, l’ambiance est bel et bien festive, et pour les bonnes raisons.

« L’expérience d’un micro-libre est aléatoire, incohérente et spectaculaire. Personne dans la salle ne sait à quoi s’attendre, mais tous ont un intérêt pour la poésie. En quelque sorte, tout le monde est là parce qu’ils vont lire quelque chose, ou qu’ils aimeraient beaucoup mais n’ont pas le courage, et récompensent ceux qui le font par un respect et une écoute unique. De plus, nous sommes constamment étonnés par la qualité des textes et de la liberté que s’accordent les lecteurs pour s’exprimer ».

Entre à la queue-leu-leu un public disparate, où se confondent jeunes et moins jeunes. Un intérêt commun les réunit : la poésie. « Il est encore difficile d’identifier clairement le public qui assiste et participe à la soirée et, en quelque chose, nous croyons que c’est une de ses forces. Il n’y a pas d’appartenance quelconque à une clique, ou de compétition, ni de jugement. Dès le départ, nous avons été agréablement surpris par le nombre d’étudiants qui ont découvert le Quai des brumes grâce à la soirée, lieu mythique et si important pour la scène artistique montréalaise, et nous espérons que ça se poursuivra ainsi, qu’on reste accessible et ouvert à tous », remarquent les fondateurs.

Une chose est sûre : la poésie pogne. Face à une faune curieuse et motivée, Melyssa ouvre la soirée à l’heure juste, annonçant que les trois quarts de la salle (débordante) s’est déjà inscrite. Usant d’un ton familier et décomplexé, sans chichi, elle présente celui qui brisera la glace. Dès cette première prise de parole, on sent déjà l’atmosphère de curiosité, le bouillonnement créatif. L’écoute est impeccable, du silence comme on n’en a jamais entendu dans un bar plein à craquer.

Ce qui plaît surtout, à la soirée Vaincre la nuit, c’est le côté musical de la parole. Appuyé par des musiciens alertes et inventifs, le texte prend un rythme autant improvisé que charmant. Véritable laboratoire, les lecteurs, expérimentés ou non, nous livrent des textes ancrés dans le réel, soucieux d’expérimenter le style et de sortir des carcans de l’institution. Avec des thèmes comme l’autodérision, l’oralité, l’amour et les relations, le vide et l’immense, le quotidien, l’incohérence, mais aussi le travail, l’argent, l’intimité, les textes partagés résonnent en nous, que nous nous positionnons en face ou en continu avec la problématique présentée. On y sent la frustration, mais aussi le désir de résolution d’une génération hétéroclite à la marginalité assumée. Et au centre de tout : l’écriture. La mise en scène de l’écriture, du moins. Car le micro-ouvert, c’est aussi une plateforme pour faire susciter des émotions en direct, c’est dévoiler une écriture en dialogue avec la réalité, face à un public palpable. Sortir son cahier de poche, sans filtre autre que sa propre voix. L’idée de performance est muette, sous-jacente, certes, mais définitivement en action. Peut-être symptomatique de notre époque des « réseaux sociaux », mais une performance tout de même, physique, déchirante, intime et publique à la fois. Vaincre la nuit, c’est la poésie en action, une bière à la main.

Pourtant, les soirées de poésie, ça fait longtemps que ça marche, me fait remarquer un ami. Il existe déjà des rendez-vous mensuels où se réunissent des poètes émergents, des événements reliés à la discipline, des spectacles portant des noms connus. Quel est cet élément qui fait de Vaincre la nuit quelque chose d’aussi singulier ? Il y aurait d’abord la mise en scène de l’intimité, la pure, celle extraite des mots écrits croches sur le bord d’une table ; les barrières brisées, le pouls tâté chez nos confrères confrontés à la même fébrilité. Puis ce texte lancé dans la foule immédiate et essentielle. Ce micro ouvert à tous, pour tous, ce public confondu, cette performance à tâtons et la bouffée d’endorphines qui vient avec. Ou cette musique, qui rend l’expérience du lecteur et du public tout simplement amusante et unique. Moi, je dis que c’est pour tout ça. Pour la rencontre, la p’tite bière, le carnaval de rires. Ce silence dans la foule dès qu’un se racle la gorge, nerveux. L’intimité performée sans concession et l’accompagnement musical, toujours à point.

Ça tombe bien, la prochaine soirée se déroule ce lundi 28 novembre. Une rumeur court qu’il y aura du vin chaud. On se voit là-bas ?

Cliquez ici pour voir les détails de la prochaine soirée.

SOUS-SOL D’ÉGLISE ET DIY

PAR HÉLÈNE BUGHIN

La mi-novembre aura beau nous envoyer ses vents au visage, nous arrivons à la station Laurier l’impatience dans les talons. Cette fin de semaine du 11 au 13 novembre, c’est Expozine, un événement annuel regroupant nombre d’artisans, d’éditeurs indépendants, de graphistes (et plus encore) au style vivant, créatif et souvent handmade. Véritable porte d’entrée au milieu alternatif, l’événement permet de rencontrer des créateurs d’ici et d’ailleurs au Canada, en français ou en anglais.

Dès que l’on descend l’escalier de l’Église Saint-Denis apparaît une faune aussi casual qu’éclectique. Les tables y sont diversifiées, proposant tantôt des zines, pamphlets et autres productions littéraires éclatées, tantôt des macarons féministes et engagés – sans oublier les nombreuses productions visuelles, sérigraphies et prints. Une cohabitation explosive suscitant sans mal la curiosité de tout visiteur.

Règne une esthétique de sous-sol d’église, celle des marchés aux puces, des ventes de garage et autre foire d’artisans, mais c’était plutôt recueils sur la masturbation féminine, collages hallucinants et patchs de chats que l’on observait aux kiosques décorés. Une avalanche créative nous attendait entre deux manteaux, derrière la foulée de visiteurs discutant avec les artistes. Il aurait fallu une journée entière pour en admirer l’entièreté.

Devant ce bouillonnement de couleurs et d’expressions, voici ce qui a retenu notre attention !

GUÉDAILLES, Collectif 

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Zine féministe des Panthères rouges tournant autour de la sexualité et de la masturbation, c’est son design épuré, sa couleur mat, son titre, ainsi que l’esthétique des textes qui a le plus frappé en parcourant les allées. Ancré dans l’ère numérique, le contenu fait écho à l’époque dans laquelle il est produit ; l’esthétique suit la marche, et le résultat, en plus d’être pertinent, suscite une excellente réaction. On approuve !

PICTURES OF PEOPLE, Ivan Klipstein 

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Quelque chose de distinct dans les dessins que propose Klipstein. Un réalisme proche de la caricature sans y tomber ; une douceur, une réalité dans le trait. L’artiste y peint un quotidien déconstruit entre les villes et les personnes rencontrées. Une simplicité dans la représentation qui amène une toute nouvelle dimension aux personnages, les centrant au milieu de leur personnalité. On adore !

À SENS UNIQUE PT.1., À TON INSU PT.1., GEE ZEE,
Christina Catastrophe 

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Grande fan de l’authenticité, je trépignais devant ces zines que l’auteur qualifie « d’auto-biographique », devant ce mélange entre photos et textes en prose. Le travail derrière le dévoilement de l’intimité fascine, l’esthétique plaît, la mise en scène du soi est, ici, une performance sincère et honnête. On souligne !

CARNETS DE MONTRÉAL, Catherine Pont-Humbert 

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Depuis un moment, je voulais mettre la main sur un des livres de cette maison d’édition (enfin!). Alors que le territoire et sa représentation sont source d’inspiration pour les récents récits, « Carnets de Montréal » nous offre une guirlande de points de vue sur les quartiers de la ville. On salue le projet !

NOYADE, Aura Fallu

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La couverture m’a tout de suite accrochée et dès les premières pages tournées, c’était l’enivrement. Une poésie coup de poing, grinçante, se débattant à chaque vers. Un excellent recueil de l’Oie de cravan. Fraîchement sorti de l’imprimeur, et déjà dans nos cœurs. On recommande !

DUST TO OAXACAJustin Apperley 

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Festival de couleurs vives et pastels, du bleu marin au rose lilas, des collages décolorés, des coupures et des montages ; 20,500 KM en moto de l’Alaska jusqu’en Californie, racontés ainsi. Les scènes dépeintes ou reconstruites bouleversent l’imaginaire et nous amènent ailleurs, des paysages féeriques à l’imagination débordante de l’artiste. On est in love.

ODE AUX DOUBLES MENTONS, Collectif Correct 

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Tel un rêve devenu réalité sous forme de zine, « Ode aux doubles mentons » est un grand sourire enveloppé dans du papier blanc, un investissement dans l’agréable surprise, une publication ludique dont on avait terriblement besoin, simple et brochée. Un excellent morceau pour découvrir le Collectif Correct. On applaudit !

CŒUR DE BÊTE HÔPITAL, Christine Germain

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Confession : débordante est mon admiration pour les éditions Rodrigol depuis ma lecture de Lulu Machine par Sébastien Blais. Il s’en fallut de peu pour que je parte avec le présentoir au grand complet. Lorsqu’on m’a exposé le noyau de l’histoire derrière Coeur de bête hôpital, j’étais conquise. Une poésie franche et déroutante, des thématiques vivantes. On admire !

BALLZ MONTRÉAL, Collectif

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Défoulement : c’est la caractéristique première qui me vient en tête lorsque je feuillette Ballz Montréal. Un zine comme échappatoire, comme exorcisation des ressentiments par rapport à l’année 2016, à la politique, aux échanges sociaux et à l’art. Des textes et photo-montages dont on avait bien besoin. Cerise sur le gâteau !

MATÉRIALISER LES LICORNES DU LANGAGE

PAR HÉLÈNE BUGHIN

Il y a quelque chose d’électrisant dans les poèmes que dresse Baron Marc-André Lévesque. Un agencement éclectique d’images et d’oralité. Aucun répit n’est accordé lorsqu’on entreprend la lecture de Chasse aux licornes, emporté par ce défilé de figures mythologiques en fête. Les blessures d’enfance y sont dépeintes, décorées de pansements aux dessins de dragons et de matelots ; les problématiques modernes, éclatées et vivifiées. Ludique sans être enfantin, direct sans être vulgaire, le ton varie et laisse ainsi comme une poussière sur le langage qui rend ce livre brillamment construit.  À la vue de la couverture, on est charmé. La lecture terminée, on est conquis.

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« Extrait de colère à l’usage de mon enfant », un poème de la section Bain de foudre, se démarque par son envolée lyrique et captivante. Mais il y a aussi cette image très nette de l’enfant tiré de son bac à sable : le sentiment du titre devient concret. L’illustration lucide d’une colère puérile dans sa puissance, plutôt qu’un facile pathétisme par l’usage de la mythologie, devient épique. Et pourtant, les néologismes, les anglicismes, le jeu avec les expressions communes ramènent la chose à son plus essentiel. Le poème devient vivace, vivant – résolument oral. De plus, l’usage de la deuxième personne du singulier confère au poème une réception différée de l’image évoquée, comme si nous-mêmes la vivions. On vit la scène, on incarne l’enfant, se laissant porter par la furie. La voracité de la lecture réside en ces images évocatrices sublimant le sujet.

L’oralité, dans Chasse aux licornes, est, sans contre dit, omniprésente. Par les indications en début de texte (« à la manière du sermon de James Brown dins Blues Brothers », p.23) ou l’usage bien dosé et réaliste de l’anglais (« d’internet ninties », p.28), elle ponctue la poésie sans pour autant la déformer. L’écriture est équilibrée, entre la réalité et le sublime – clin d’œil, ici, au titre #UNAUTREPOÈMEDECHASSE et au jaune snapchat, éléments modernes insérés avec humour à travers les fresques mythiques. De l’entremêlement des deux réalités, celle fabuleuse et celle tangible, il forme un univers tout à fait unique, affirmé et surtout, réussi.

C’est que le poète, dans son tour de force, se réapproprie les imageries de la langue, les transforme, à sa manière, en éléments tangibles – transcrire l’oralité, c’est lui donner du tonus, du muscle, quelque chose à laquelle s’accrocher. On se souvient du recueil comme d’une entité indépendante : plus qu’un livre, un objet culturel, témoin du contemporain qui nous englobe.

Tout est cohabitation dans Chasse aux licornes. Jeux de langages, réappropriation de symboles, c’est la prononciation, teignant sans mal l’orthographe des phrases, qui sort l’écriture poétique de ses carcans, présentant sous une couverture canari une oralité en marge et pourtant intégrée au présent qu’elle évoque.

Lévesque ne crée jamais de barrière avec son lecteur : chaque segment est une nouvelle discussion, avec ses éclats et ses évocations. Le fil n’est pas délirant, mais résolument entraînant. Poète s’amusant sans jouer de la compréhension, il ajoute ses couleurs et s’ancre dans l’actuel en prenant des risques qui finissent, au final, par grassement payer. Car le bonheur de lire du Baron se trouve également dans ce langage commun utilisé sans concession. La ligne est mince, mais toujours, le vocabulaire reste équilibré. Témoin d’une jeunesse qui n’hésite pas, n’hésite plus. Ludique, certes, mais aussi lucide – c’est ainsi que la poésie de Baron Marc-André Lévesque rejoint son public.

            (on espère, pour l’auteur, que son aventure littéraire ne finira pas de même).

La chasse aux Licornes est disponible en cliquant sur ce lien aux Éditions de l’Écrou.